|
|
Lorsque je pense à Martiens go home ! de Fredric Brown, je repense aussi à la vieille dame chez qui j'ai acheté ce livre il y a bien longtemps. Automne 1972 : je venais juste d'entrer en sixième (ce qui ne rajeunit personne). Déjà à l'époque, les professeurs de Français s'inquiétaient du peu d'intérêt de leurs élèves pour la lecture. Ma prof de Français essayait par tous les moyens de nous faire passer moins de temps devant la télé et plus de temps dans les bouquins. Un jour, elle nous a proposé de lire un ouvrage de science-fiction puis de le présenter à toute la classe. Donc, quelques jours plus tard, ma mère m'emmène chez le libraire du coin pour acheter le fameux bouquin de SF. A l'époque les premières grandes surfaces commençaient à peine à ouvrir leurs portes en France, et les seuls endroits où acheter un livre étaient les boutiques des libraires. Nous entrons donc dans une petite boutique du centre ville, située près de l'église, pleine d'odeurs de papier et d'encre d'imprimerie. La vieille dame attendait derrière son comptoir de bois ciré. Je la revois comme si c'était hier. C'était une grande dame, mince, avec des cheveux gris et de grosses lunettes. Elle portait des manchettes noires, afin que sa blouse à carreaux ne soit pas tachée par l'encre des journaux.
A cet instant, les yeux de la vieille dame s'allument derrière ses lunettes. Elle se retourne vivement, saisit une poignée de livres de poche sur une étagère et les aligne sur le comptoir, juste sous mon nez.
Elle pose une seconde poignée de bouquins sur le comptoir.
Une troisième poignée de bouquins.
Quatrième poignée de bouquins.
Cinquième poignée de bouquins. Mais où donc s'arrêtera-t-elle ?
Le comptoir croule alors sous les livres de poche. La libraire s'arrête et me regarde sans rien dire. Visiblement, elle attend que j'en choisisse un. Mais je ne connais rien aux auteurs de SF, et je suis un peu étourdi par toutes ces couvertures multicolores. Que faire ? Mon regard parcourt rapidement les jaquettes et s'accroche à un titre qui contient le mot "Martiens". Ouf ! Avec un tel titre ça ne peut être qu'un "vrai" bouquin de SF. Je prends le bouquin, ma mère paie la vieille dame, et nous sortons de la boutique. Voici comment j'ai découvert la science-fiction, en lisant un peu par hasard martiens go home ! de Fredric Brown. A l'époque, le prix des livres était inscrit au crayon de papier à l'intérieur de leur couverture. Savez-vous quel était celui que la vieille dame avait inscrit à l'intérieur de mon martiens go home ! ? 8,50 FF. Ceci dit, il parait qu'il n'y a pas d'inflation... Aujourd'hui cette vieille dame doit être au paradis des libraires, et lorsqu'elle reçoit un client elle pose probablement ses livres sur un nuage. Mais il m'arrive de penser à elle lorsque je passe (de plus en plus rarement, car depuis j'ai déménagé) devant ce qui était autrefois sa boutique ou lorsque je me replonge dans martiens go home !. Et si, ce jour-là, elle m'avait répondu :
... je ne serais probablement pas en train d'écrire cette page aujourd'hui. |
|
|