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Distribution
Paul |
Ezra Godden |
Barbara |
Raquel Meroño |
Uxia |
Macarena Gomez |
Ezequiel |
Francisco Rabal |
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Les premières minutes
Paul fait de la plongés sous-marine. Au fond de l'eau,
il aperçoit un étrange puits qu'il se met à
explorer. Chose étrange, ses parois sont recouvertes de
bas-reliefs qui brillent comme de l'or dès qu'on les débarrasse
de la couche de vase qui les recouvre. Mais il n'est pas seul
dans ce puits : une femme superbe, immobile, semble l'attendre.
Quelle n'est pas sa surprise lorsqu'il réalise que la
belle inconnue n'a pas de jambes mais une queue de poisson !
La sirène s'approche de lui en souriant, lui ôte
son masque de plongée et, découvrant ses dents
acérées, lui saute à la gorge en poussant
un cri aigu.
Paul se réveille en sursaut aux côtés
de Barbara. Encore ce satané cauchemar...
Pourquoi j'aime ce film
Dagon n'est pas le genre de nouvelle qu'on adapte facilement
au cinéma. En effet, ces quelques pages écrites
en 1917 par HP Lovecraft ne peuvent à elles seules constituer
le scénario de tout un film.
Voici, résumée en quelques lignes, la courte
nouvelle de Lovecraft :
Au début de la première guerre mondiale,
un destroyer Allemand coule un paquebot Américain et capture
son équipage. Mais un des prisonniers réussit à
s'évader. Durant des jours et des jours il dérive
sur l'océan et finit par perdre conscience. Lorsqu'il
revient à lui, il se trouve sur un îlot qui vient
d'émerger et dont le sol, jonché de choses immondes,
est encore trop meuble pour qu'on puisse y marcher. Mais avec
la chaleur, la couche d'alluvions durcit rapidement et le naufragé
peut bientôt explorer l'îlot. Il y découvre
une sorte de colline au sommet de laquelle se trouve un monolithe
recouvert de hiéroglyphes dont l'origine lui est totalement
inconnue. Soudain, un monstre marin s'approche du monolithe et
l'enserre dans ses tentacules. C'en est trop pour l'homme qui
perd la raison. Plus tard, après avoir été
sauvé et soigné dans un hôpital de San Francisco,
il entend des bruits étranges, des bruits qui semblent
être de plus en plus proches et il comprend que son heure
est venue.
Belle histoire, mais un peu légère pour réaliser
un film de 90 minutes. Donc, plutôt que de suivre à
la lettre le texte original, le scénariste Dennis Paoli
s'est inspiré de tout un pan de l'uvre de Lovecraft :
celui qui traite du thème récurrent des dieux anciens
et que les spécialistes appellent les contes Cthulhu
(d'après le nom d'un de ces dieux).
Dagon est donc l'archétype, transposé
au cinéma et à notre époque, du conte
Cthulhu Lovecraftien. On y retrouve les ingrédients
habituels :
- un ancien dieu, qui existait bien avant l'humanité,
qui se dissimule au fond de l'océan en attendant son heure,
et qui engendre d'horribles créatures hybrides avec des
femmes qu'on lui sacrifie
- des sculptures et objets d'arts, visiblement
très anciens, qui ne ressemblent à rien de connu
sur Terre
- des adorateurs du dieu aquatique qui psalmodient
d'étranges incantations et dont le corps se transforme
petit à petit, afin qu'ils puissent un jour rejoindre
leur dieu dans l'océan
- un héros qui ne demandait rien à
personne, hanté par des rêves qui s'avèrent
être soit des visions de son futur, soit des souvenirs
lointains, et qui disparaît mystérieusement à
la fin de l'histoire
- des bruits de succion et de glissement qui
suggèrent l'arrivée imminente de créatures
gluantes et trop hideuses pour être décrites ici
Et le résultat est superbe : si vous n'avez jamais
mis le nez dans un bouquin de Lovecraft, alors ce film est une
bonne introduction à l'univers de ce grand écrivain
fantastique.
Mais n'oubliez pas pour autant que les nouvelles de Lovecraft
sont d'abord faites pour être LUES, car les mots restituent
mieux que les images le climat d'horreur qui les imprègne.
La dimension olfactive, c'est à dire toutes les odeurs
de vase et de "choses" en putréfaction qui émanent
des lieux dans lesquels ses héros évoluent, est
aussi beaucoup mieux rendue par l'écrit que par la caméra.
Lovecraft est un auteur dont les uvres sont facilement
disponibles en livre de poche, mais je pense que le fin du fin
reste l'anthologie en trois volumes, parue dans la collection
Bouquins, qui vous fera certainement passer des heures
et des heures de bon temps.
Les meilleures scènes
Il y a deux sortes de scènes que j'apprécie
dans Dagon. Certaines restent fidèles à
l'uvre de Lovecraft :
- celle dans laquelle on voit le père
de Uxia se déplacer péniblement en s'appuyant sur
de très courtes béquilles. On imagine alors à
quel point sa transformation est avancée, à quel
point il n'a plus grand chose à voir avec un être
humain. Cette première impression est d'ailleurs confirmée
quelques minutes plus tard, lorsque son vrai visage apparaît
devant la caméra.
- celle dans laquelle Paul se réfugie
dans un entrepôt. Il y découvre bientôt les
"masques" que portent les adorateurs de Dagon pour
dissimuler leur véritable apparence et qui sont suspendus
à des fils, comme du linge qui sèche. Ce sont en
fait les visages de leurs victimes. Frisson garanti...
D'autres scènes s'inscrivent, quant à elles,
plus dans la tradition des bons thrillers :
- celle dans laquelle la chambre d'hôtel
de Paul est prise d'assaut par la foule des adorateurs de Dagon.
Pour s'enfermer, il veut pousser le loquet de la porte d'entrée
et réalise alors qu'il n'y en a plus. En essayant de garder
son sang-froid, il sort son canif et entreprend de démonter
le loquet d'une autre porte afin de le revisser sur la porte
d'entrée. Mais la foule est déjà dans l'escalier
et rien ne marche comme prévu. C'est d'abord le canif
qui s'avère être un bien piètre tournevis,
puis Paul laisse ensuite tomber une des vis par terre et part
à sa recherche dans l'obscurité, alors que les
adorateurs de Dagon atteignent le palier. Et, pendant ce temps,
les secondes s'écoulent une à une et le spectateur,
pris au jeu, transpire et trépigne devant sa télé.
- celle dans laquelle Paul veut s'enfuir au volant
de la voiture du père de Uxia. Il s'approche du véhicule
sans être vu des gardes, se glisse sous le tableau de bord,
coupe rapidement quelques fils et fait une épissure. Mais
au lieu du démarreur, c'est le klaxon qu'il actionne...
Autant que ces excellentes scènes, j'apprécie
la façon dont Stuart Gordon fait évoluer son héros.
Au début du film, Paul est un homme d'affaires binoclard
dont les uniques centres d'intérêt sont le cours
de ses actions et son job. Il agace tant Barbara qu'elle finit
par craquer et balance son ordinateur portable à la mer
pour l'empêcher de travailler. Mais au fil des épreuves
il changera et à la fin du film, juste avant la chute
finale que je ne vous raconterai pas, deviendra un vrai killer.
Ezra Godden passe avec brio d'une personnalité à
l'autre tout en restant parfaitement crédible.
Saluons aussi au passage une des dernières apparitions
à l'écran de Francisco Rabal, génial dans
son rôle de demeuré alcoolique, mais en fait pas
si fou que ça. Il faudra qu'un jour je vous parle de Belle
de jour de Buñuel, dans lequel il apparaît également.
La nana
Encore l'éternelle question : le bien ou le mal,
la lumière ou l'obscurité, la blonde ou la brune,
en un mot Barbara ou Uxia ? Pas facile de faire un choix.
Il faut admettre que dans la scène où Uxia tente
de séduire Paul, qui vient de pénétrer dans
sa chambre, en croisant et décroisant sensuellement ses...
longs tentacules verdâtres, Macarena Gomez est irrésistible.
Idem dans la scène finale, lorsqu'on la voit s'enfoncer
dans la lumière bleutée des profondeurs sous-marines.
Depuis, je ne regarde plus l'étal de mon poissonnier du
même il. Mais alors, que dire de Raquel Meroño
avec sa frimousse d'ange et son physique de rêve ?
Dans ce film, plus il lui arrive de tuiles et plus Barbara est
belle.
Allons, il faut nous décider ! Léger avantage
à Barbara pour sa jolie frimousse, mais je n'ai vraiment
pas un métier facile.
Pour la petite histoire...
En ce qui concerne les autres nouvelles de Lovecraft, celles
qui n'appartiennent pas au cycle des contes Cthulhu, l'adaptation
de Re-animator, également réalisée
par Stuart Gordon, est aussi un must à ne pas rater (même
si l'accent y est plus mis sur le gore et l'humour que sur la
véritable terreur).
Souvenirs, souvenirs...
1er novembre 198x (je ne me souviens plus de l'année
exacte). J'étais parti chercher le pain et, mes baguettes
sous le bras, j'attendais le bus qui allait me permettre de rentrer
chez moi. Mais qui dit 1er novembre dit jour férié,
et donc peu de bus. Un coup d'il aux horaires et je constatai
que j'avais largement le temps de passer chez le libraire. Là,
sur un présentoir, avec des couvertures un peu décolorées
par quelques mois de présence en vitrine, je dénichai
deux livres de poche d'un auteur fantastique Américain
dont je n'avais encore rien lu mais dont j'avais entendu parler
dans une BD (dans un épisode de Daredevil, si je me souviens
bien) : Howard Philip Lovecraft.
Je retournai m'asseoir dans l'arrêt de bus et pour tromper
l'ennui j'attaquai le premier des deux bouquins, un recueil de
nouvelles dont le titre était Dagon (tiens, tiens...).
11h15 : le bus n'allait probablement pas tarder à
passer. 11h30 : le bus était visiblement en retard.
11h45 : toujours pas de bus et je décidai de rentrer
à pied. Il y avait ce jour-là, comme c'est souvent
le cas un 1er novembre, un brouillard à couper au couteau
et j'avais encore la tête pleine des quelques dizaines
de pages de Lovecraft que je venais de lire. Et bien, croyez-le
ou non, tout au long des trois kilomètres qui séparaient
le centre-ville de mon domicile, je me suis retourné tous
les 50 mètres pour m'assurer que quelque créature
innommable ne me suivait pas dans le brouillard.
Bravo Mr Lovecraft, vous pouvez être fier de vous !
Le seul auteur à m'avoir fait un tel effet, une dizaine
d'années plus tôt, est Edgar Poe.
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