L'action se déroule dans un pays imaginaire et dans
un futur indéterminé. Dans une caserne de pompiers,
Montag et ses collègues se laissent glisser le long d'un
mât et prennent place dans un camion qui démarre
en trombe, toutes sirènes hurlantes. Au même instant,
un homme est en train de prendre son petit-déjeuner. Le
téléphone sonne et une voix de femme lui conseille
de quitter immédiatement son domicile. L'homme hésite,
mais lorsqu'il entend la sirène des pompiers il attrape
sa veste et s'enfuit en courant.
Les pompiers pénètrent dans l'appartement désert.
En voyant un luminaire suspendu au plafond, Montag esquisse un
léger sourire. Il allume la lumière et constate
qu'il avait raison : un objet rectangulaire est caché
dans le luminaire. Il s'agit d'un livre. Les pompiers fouillent
l'appartement de fond en comble et découvrent des dizaines
de livres dissimulés un peu partout. Ils les entassent
dans un sac qu'ils jettent par la fenêtre.
En bas, sur le trottoir, un autre pompier installe une sorte
de grill sur lequel les livres sont bientôt empilés.
Montag enfile alors une tenue ignifugée, saisit un lance-flammes
puis brûle les livres sous les yeux de la foule qui s'est
assemblée pour ne rien rater du spectacle. Le capitaine
qui commande cette opération est satisfait de Montag.
Il lui annonce qu'il va peut-être bientôt bénéficier
d'une promotion.
Dans ce monde étrange, la mission des pompiers ne consiste
plus à éteindre les incendies mais... à
les allumer. En effet, tous les livres étant censurés,
ils doivent être réduits en cendres et leurs lecteurs
doivent être impérativement « rééduqués ».
Tel est le futur imaginé par Ray Bradbury en 1953 dans
son roman Fahrenheit 451 (la température à
laquelle le papier s'enflamme), roman brillamment adapté
en 1966 pour le cinéma par François Truffaut.
Dans ce monde, les livres sont considérés comme
dangereux car les idées qu'ils véhiculent vont
à l'encontre de la notion de bonheur inculquée
aux citoyens. Pensez-donc : des romans dans lesquels des
héros vivent des AVENTURES, des essais philosophiques
incitant à REFLECHIR, des biographies dans lesquelles
des gens racontent LEUR vie... Que de contre-exemples pour une
société qui prône l'unité de pensée
et la fin de toute forme d'individualisme, une société
dans laquelle les gens, pour avoir l'impression d'exister un
peu, s'abrutissent devant de grands écrans muraux sur
lesquels leurs « cousines » (speakerines
d'état) les font participer à des émissions
de télé-réalité encore plus niaises
que celles que nous connaissons !
Mais Montag s'y trouve parfaitement à son aise. Il
ne se pose pas de questions : puisque les livres sont interdits,
il ne les lit pas et puisqu'il est pompier, il les brûle.
Grâce à sa promotion, il aura même les moyens
de s'offrir un second écran mural, signe tangible de réussite
sociale. Sa vie va pourtant basculer le jour où il échangera
quelques mots avec Clarisse, une inconnue rencontrée dans
les transports en commun. De fil en aiguille, il commencera par
douter du bien-fondé de sa mission, puis « oubliera »
de brûler un livre avant de commettre l'irréparable,
c'est à dire de le lire. Sa maison deviendra rapidement
une véritable bibliothèque clandestine et sa femme
Linda, avant de le quitter, se sentira obligée de le dénoncer
à ses supérieurs. Il devra fuir et tenter de rejoindre
les hommes-livres, ces gens qui ont choisi de devenir des livres
vivants et qui se cachent dans les forêts. Il devra échapper
à une population qui, sur un simple ordre diffusé
par un haut-parleur, sort dans la rue pour le traquer. Il devra
même assister en direct à sa propre mort, à
l'exécution d'un figurant qu'on fait passer pour lui afin
que tous sachent qu'un simple individu ne pourra jamais gagner
contre la collectivité.
Fahrenheit 451 laisse, et encore plus en version cinématographique,
une impression de malaise. J'ai vu ce film pour la première
fois dans les années 70, aux Dossiers de l'écran
me semble-t-il, et je dois admettre que j'ai eu ce soir-là
du mal à m'endormir. Alors que j'usais encore mes fonds
de culotte sur les bancs de l'école, alors que parents
et professeurs faisaient des pieds et des mains pour forcer ma
génération à éteindre la télé
et à ouvrir un bouquin, la simple possibilité d'un
futur dans lequel la lecture serait interdite par la loi remettait
en cause pas mal de choses. A quoi bon tous ces efforts si c'était
pour en arriver là ?
Ceci dit, Fahrenheit 451 ne fait plus aujourd'hui figure
que de simple mauvais rêve, surtout depuis que j'ai lu
ces cauchemars que sont 1984 de George Orwell et Le
meilleur des mondes d'Aldous Huxley, et en regardant la réédition
du film en DVD j'avoue que je n'ai eu d'yeux que pour la belle
Julie Christie et la scène des hommes volants. Car, contrairement
à l'ouvrage d'Orwell, Fahrenheit 451 laisse une
place à l'optimisme. Il existe en effet une échappatoire
à cette société si inhumaine : être
un homme-livre, partir se cacher dans les bois et devenir soi-même
une de ces choses qui n'ont plus le droit d'exister. On peut
cependant se demander pour quelle raison le pouvoir tolère
les hommes-livres dans les forêts. Ne seraient-ils dangereux
qu'en ville, ou bien ces forêts ne seraient-elles pas une
sorte de réserve dans laquelle on aurait décidé
de les parquer afin que le savoir inscrit dans les livres soit
préservé sans être diffusé ?
Préservation de la liberté de penser, refus
d'une société trop inhumaine au profit d'une vie
plus simple au cur de la nature : en 1966, les idées
de Ray Bradbury étaient tellement dans l'air du temps
qu'il était logique que son roman soit adapté au
cinéma. C'est ainsi qu'un bouquin des années 50
a pu donner naissance à un des films Français les
plus étonnants de son époque, un film qui, aujourd'hui
encore, ne fait pas tache au milieu de la production anglo-saxonne
de la seconde moitié des sixties. Cocorico !