 |
|
Avec
Jethro Tull |
The Who |
Taj Mahal |
Marianne Faithfull |
The Dirty Mac |
Yoko Ono & Ivry Gitlis |
The Rolling Stones |
Show présenté par John Lennon &
Mick Jagger |
|
Le show

De gauche à droite : Pete Townhend,
John Lennon, Yoko Ono, Keith Richards,
Charlie Watts, Mick Jagger, Brian Jones, Bill Wyman, Eric Clapton
et Marianne Faithfull.
|
Mardi 10 décembre 1968. Dès huit heures
du matin une foule nombreuse se presse à l'entrée
des studios Intertel de Wembley, au nord de Londres. Tous ces
gens vont assister à un spectacle de cirque qui sera ensuite
diffusé pour les fêtes de fin d'année : le
Rock and Roll Circus. Il s'agit d'un nouveau concept :
puisque les musiciens de rock, lorsqu'ils partent en tournée,
sont un peu les saltimbanques modernes, pourquoi ne pas mélanger
dans une même émission numéros de cirque
exécutés par le Robert Fosset Circus et chansons
interprétées par le gratin de la pop music anglo-saxonne
? Les billets pour le spectacle étaient disponibles auprès
du New Musical Express et du fan club des Stones. A dix heures,
les portes des studios s'ouvrent enfin. A l'intérieur
on a construit pour la circonstance une moitié de chapiteau,
une piste recouverte de sciure de bois et des gradins en arc
de cercle.
Le public s'installe. On lui distribue des ponchos multicolores
et des chapeaux. Puis l'orchestre joue Entry of the gladiators,
et un acrobate entre en cabriolant sur la piste. Il est suivi
par des cow-boys, des indiens, des clowns et enfin par les musiciens
qui vont participer au show.
Mick Jagger, le monsieur Loyal de la soirée, prend
la parole dans la tradition des grands présentateurs de
music-hall :
You've heard of Oxford Circus, you've heard of Piccadilly
Circus, and this is the Rolling Stones Rock and Roll Circus.
And we've got sights and sounds and marvels to delight your eyes
and ears. And you'll be able to hear the very first one of those
in a few moments.
Place au spectacle. Le show débute par Jethro Tull
qui interprète A Song for Jeffrey, un morceau tiré
de leur album This Was publié en octobre. On raconte
que ce jour là seul Ian Anderson a joué et chanté
en direct. En effet en décembre 1968 Jethro Tull n'avait
plus de guitariste, et Tommy Iommi qui ne connaissait pas le
répertoire du groupe avait accepté de tenir le
manche pour cette occasion spéciale. Cette rumeur est-elle
fondée ? En tout cas, il faut bien admettre que la bande
son ressemble étrangement à celle du disque...
C'est ensuite au tour des Who d'interpréter A Quick
One While He's Away, un extrait de A
quick One, album paru en décembre 1966. Ce soir
là ils sont en super forme et cette version live est aussi
bonne, voire meilleure, que la version figurant sur l'album.
Le numéro suivant est un numéro de trapèze
qui laisse ensuite la place à Taj Mahal, accompagné
à la guitare par Jesse Ed Davis. Pour éviter tout
problème avec les syndicats de musiciens anglais (ses
accompagnateurs, comme lui-même, sont Américains)
il est venu à Londres incognito. Il interprète
Ain't that a lot of love.
On installe une bâche sur la piste. Marianne Faithfull
s'assied dessus et chante Something Better, un morceau
encore inédit car le single ne sortira que le 21 février
1969. Avec sa superbe robe de satin mauve et ses cils longs comme
ça, elle met instantanément le public dans sa poche.
Suit un numéro d'avaleur de feu puis arrive The Dirty
Mac (nom trouvé en hommage à Fleetwood Mac le grand
groupe de British Blues de l'époque), la grande surprise
de la soirée présentée par John Lennon et
Mick Jagger qui mangent du riz brun avec des baguettes et échangent
des propos pour le moins surréalistes :
Are you experienced, John ?
Oh, yes ! Very, very...
Ce super groupe qui ne vivra qu'un seul soir comprend John
Lennon (guitare & chant), Eric Clapton (lead guitar), Keith
Richards (basse) et Mitch Mitchell le batteur de Jimi Hendrix.
Ils reprennent Yer Blues, un morceau provenant du double
album blanc des Beatles sorti le 22 novembre.
A la fin du morceau, Yoko Ono et Ivry Gitlis montent sur scène
et jamment avec le Dirty Mac. Le résultat, Whole Lotta
Yoko, est le seul moment pénible de tout le show...
Mais il est temps pour les vedettes de la soirée d'entrer
en scène. Voici donc les Rolling Stones. Leur set est
essentiellement basé sur Beggars Banquet, leur
nouvel album qui vient juste de sortir. Ils enchaînent
coup sur coup Jumping Jack Flash, Parachute Woman,
et No Expectations. Puis ils interprètent un inédit
: You can't always get what you want qui ne sortira en
single qu'en juillet 1969 (en face B de Honky Tonk Woman),
puis en novembre sur l'album Let it Bleed. Retour ensuite
aux chansons de Beggars Banquet, avec Sympathy For The Devil
dans lequel Mick Jagger nous fait son grand numéro et
exhibe ses tatouages devant un public en délire.
Hélas, nous sommes déjà arrivés
à la fin du spectacle. Alors, laissons le dernier mot
au maître de cérémonie :
There's nothing left for us to say but one goodnightly
night and to wish you goodnight.
Keith et Mick, le micro à la main, sont assis avec
tous les autres artistes au milieu du public. Ils chantent Salt
Of The Earth. Sur les gradins, c'est vraiment le cirque...
Mick pique le chapeau de Marianne Faithfull pendant que les Who,
qui se sont attachés des coussins autour du cou ou bien
sur la tête, provoquent des vagues dans le public. Tout
le monde se lève et a l'air content, Mick fait un salut
de la main. Rideau... Il est en effet temps d'aller se coucher
car, même si le résultat final dure à peine
plus d'une heure, la mise en place des numéros et les
prises de vue ont pris bien du temps. Pour le public épuisé,
il est déjà 6 heures du matin le 11 décembre
1968. Il est enfermé depuis 20 heures dans les studios.
Pourquoi j'aime cette vidéo
Rock and Roll Circus, c'est toute mon adolescence.
Lorsque j'allais au bahut, nous connaissions tous quelqu'un qui
connaissait quelqu'un qui connaissait quelqu'un qui avait assisté
à une projection du show. J'avais même un copain
qui avait réussi à se procurer, on ne sait trop
comment, une cassette audio de l'émission. Parfois, à
la récré, il nous tapait sur l'épaule et
nous chuchotait dans le creux de l'oreille :
Les Stones... les Who... Taj Mahal... Marianne Faithfull...
cassette chrome... 100 balles. Ca te branche ?
Il se reconnaîtra probablement si un jour il lit cette
page. Mais à l'époque, personne n'avait les 100
balles...
Au fil des années, Rock and Roll Circus est
devenu mythique parce qu'il n'a jamais été diffusé.
Les Stones, ne trouvant pas leur prestation assez bonne, avaient
décidé d'en repousser la sortie afin de pouvoir
la re-enregistrer dans un autre lieu. Mais le départ de
Brian Jones, puis son décès le 3 juillet 1969 les
en ont empêchés. Avaient-ils l'impression que les
Who leur avaient volé la vedette ? C'est possible en effet,
car ce soir là les Who étaient en état de
grâce. En tout cas, c'est ainsi qu'on bâtit une légende.
Il a fallu attendre octobre 1996, soit presque 28 ans jour pour
jour, avant que la vidéo et le CD du Rock and Roll
Circus soient enfin officiellement disponibles.
Mais Rock and Roll Circus est aussi un formidable voyage
dans le temps, une heure passée dans une époque
peut-être plus optimiste que la nôtre. En décembre
1968, on nage encore en plein Swingin' London et le rêve
n'est pas encore fini. John Lennon est encore vivant, et on ne
parle même pas de la séparation des Beatles. Du
côté des Stones c'est pareil : Nicky Hopkins et
Ian Stewart tapotent encore les touches de leur piano, et Brian
Jones est encore là pour quelques mois. Il semble même
heureux, applaudissant les Who et se marrant tout en jouant de
la guitare. Idem pour Keith Moon et Jesse Ed Davis. Aujourd'hui
tous sont partis, emmenant avec eux une partie de notre optimisme
et de notre joie de vivre.
En fait, ce show est le reflet de l'atmosphère bon
enfant qui régnait à l'époque. S'il fallait
organiser une émission semblable aujourd'hui, je pense
que des hommes de loi commenceraient par rédiger des tonnes
de contrats. Puis on mettrait en place tout un système
de sécurité : gardes du corps, fouille du public
à l'entrée, que sais-je encore... Là, il
suffit à Mick Jagger de passer quelques coups de téléphone
à ses copains pop stars, de faire imprimer des cartons
d'invitation et de les distribuer au public. Autres temps, autres
murs.
Les meilleurs moments
Dans Rock and Roll Circus il y a plusieurs grands moments,
des extraits qu'on pourrait même sortir du contexte de
l'émission et qui seraient suffisamment intéressants
pour constituer des clips.
Citons pour commencer la prestation des Who. On a peu souvent
l'occasion d'avoir des plans si rapprochés des Who en
action, et ici on peut observer en détail à la
fois la précision du jeu de Pete Townshend et le style
si particulier de Keith Moon.
Puis il y a ce moment de charme : la chanson de Marianne Faithfull.
On comprend pourquoi à l'époque Mick Jagger était
fou d'elle.
Bien sûr on ne va pas oublier le Dirty Mac : on ne voit
pas tous les jours une telle brochette de rock stars jouer ensemble.
Il est d'ailleurs probable que sans cette séquence l'émission
ne serait pas devenue aussi mythique, et qu'elle serait définitivement
restée au fond d'un tiroir.
Pour finir, n'oublions pas non plus Sympathy For The Devil
et You can't always get what you want des Stones. Mick
Jagger est en transe et dans le public certaines filles sont
littéralement hypnotisées. Lorsqu'il s'approche
d'elles en les désignant du doigt et en leur chantant
"Tell me baby, what's my name ?" on a l'impression
qu'elles vont se désintégrer sous nos yeux.
Le disque
En même temps que la vidéo, Rock and
Roll Circus est aussi sorti en CD. On retrouve sur le disque
la totalité des morceaux interprétés durant
le show ainsi que toutes les interventions de John Lennon, Mick
Jagger et Keith Richards.
Alors, faut-il plutôt acheter la vidéo ou le
CD ? Pour ma part, je pense que la vidéo est incontournable
: les fringues, les coupes de cheveux, le maquillage des filles,
tout nous fait littéralement replonger dans les sixties.
Ceci dit, le CD constitue un excellent Best Of de cette fin 1968.
Avez-vous réalisé que lors du tournage de l'émission
presque tous ces morceaux étaient récents, voire
encore inédits ? Ca donne une idée de la productivité
des musiciens et du niveau de qualité de la musique de
cette époque. D'autres Rock and Roll Circus auraient
dû suivre cette première émission. Hélas,
il n'en fût rien. C'est dommage : quelle collection nous
aurions aujourd'hui !
Les coupes
La vidéo et le CD ne contiennent pas l'intégralité
du Rock and Roll Circus. Une partie du show a été
coupée au montage, voire n'a jamais été
enregistrée.
Le 1er concerto pour violon de Paganini interprété
par Ivry Gitlis a été exclu du CD et de la vidéo.
De même, les numéros de cirque ont été
réduits à quelques secondes. C'est ainsi qu'on
ne verra pas les clowns lancer des seaux d'eau sur le public
(en fait, ces seaux étaient remplis de confettis). On
ne verra pas non plus le trapéziste manquer sa prise et
se rattraper in extremis avec un pied (comme il le faisait chaque
soir...). C'est dommage, car en ne gardant que les chansons on
perd le concept initial de l'émission.
Les deux premiers morceaux des Stones, Route 66 et
Confessin' the blues, n'ont servi qu'à chauffer
le groupe et n'ont par conséquent pas été
enregistrés. Quant aux morceaux joués la veille
durant les répétitions nous ne les entendrons jamais.
On sait simplement que John Lennon, Mick Jagger et Eric Clapton
ont joués Peggy Sue de Buddy Holly et que John
Lennon a interprété ensuite It's now or never
d'Elvis Presley pour se faire la main.
Pour la petite histoire...
Le show aurait du être présenté par Brigitte
Bardot. C'est du moins ce qu'aurait souhaité Mick Jagger,
mais ça n'a pas été possible.
|