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Fiche technique
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Titre |
Peur sur la ville |
Genre |
Policier |
Année |
1975 |
Origine |
France |
Réalisateur |
Henri Verneuil |
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Distribution
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Le commissaire Letellier |
Jean-Paul Belmondo |
L'inspecteur Moissac |
Charles Denner |
Pierre Valdeck |
Adalberto Maria Merli |
Nora Elmer |
Léa Massari |
Germaine Doizon |
Rosy Varte |
Hélène Grammont |
Catherine Morin |
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Les premières minutes
En pleine nuit, quelque part dans une ville nouvelle, le téléphone
sonne chez Nora Elmer. Elle décroche et comme d'habitude
n'entend qu'un souffle dans l'appareil. Il s'agit encore d'un
appel anonyme, et elle supporte de plus en plus difficilement
cet inconnu qui lui téléphone jour et nuit. C'en
est trop, elle craque : qui est-il, que veut-il ? Pour
toute réponse, elle n'obtient que des éclats de
rire au bout du fil. Elle décide alors de laisser son
téléphone décroché.
Pourquoi j'aime ce film
Peur sur la ville est un film qui a bien vieilli. Il
est en effet si riche qu'on peut encore l'apprécier aujourd'hui
à plusieurs niveaux :
- C'est tout d'abord un des meilleurs films de
Jean-Paul Belmondo. Durant deux heures environ, le spectateur
verra Bebel courir sur les toits des voitures d'une rame de métro,
se balancer sous un hélicoptère, conduire depuis
le siège du passager une voiture dont le conducteur vient
d'être abattu, distribuer coups de poing, coups de pied,
balancer des vannes, et tirer sur tout ce qui bouge. C'est du
grand spectacle, tout ce qu'on aime chez lui, et comme d'habitude
il n'est pas doublé dans les scènes dangereuses.
- C'est ensuite un excellent polar. La traque
de Marcucci, celui à cause de qui Letellier a été
viré de la brigade antigang, s'inscrit dans la grande
tradition des films policiers Français. Un policier qui
pourchasse sans trêve un truand qui a tué un autre
policier, voici une histoire qui fait penser à celle du
film Le Pacha de Georges Lautner,
dans laquelle Jean Gabin incarne le commissaire Joss. Les deux
films possèdent d'ailleurs une scène presque identique,
celle ou le commissaire et son adjoint interrogent le tenancier
d'un bar mal famé. Coïncidence ? Pas vraiment,
puisque pendant l'interrogatoire Letellier demande au tenancier
d'identifier une photo de... Jean Gabin.
- Et puis il y a Minos... En 1975, on ne savait
pas ce qu'était un serial killer ou un profiler. Les meurtres
en série étaient l'apanage des pays étrangers.
D'accord pour Jack l'éventreur en Angleterre ou l'étrangleur
de Boston aux USA, mais de tels crimes paraissaient inconcevables
chez nous. En réalisant cette seconde intrigue, Henri
Verneuil a peut-être donné naissance à un
nouveau genre cinématographique : le thriller
à la Française.
Deux intrigues, deux criminels, deux sociétés
si différentes, deux films dans un : on dirait que
tout va par paire dans Peur sur la ville. Dans la première
intrigue, Marcucci est un truand "à l'ancienne"
qui tue par appât du gain. Lorsque Letellier le recherche,
il bouscule le patron d'un bistrot un peu louche pour obtenir
des informations. Lorsqu'il le retrouve enfin, il le poursuit
en voiture, comme au bon vieux temps, dans les rues de Paris
pleines de badauds. Dans la seconde intrigue, Minos est un criminel
"moderne" qui tue parce qu'il est fou. Lorsque Letellier
le recherche, il arpente des sinistres couloirs dans des tours
de verre, d'acier et de béton. Puis il le traque jusque
dans l'appartement de Pamela Sweet, suspendu à un câble
sous un hélicoptère. Autre temps, autres murs,
autres criminels, autres mobiles, autres méthodes : au
delà de l'histoire policière, Henri Verneuil a
mis en évidence la mutation qui couvait dans la société
du milieu des années 70, et le nouveau style de vie qui
n'allait pas tarder à nous tomber dessus que nous le voulions
ou non.
Mais le vrai méchant du film, c'est la
ville. Il ne s'agit pas d'une ville en particulier, mais plutôt
d'une de ces villes nouvelles qui poussaient comme des champignons
à l'époque. En 1975, les tours dont la construction
avait été entamée au début de la
décennie étaient terminées et commençaient
à se peupler. Appâtés par la perspective
de posséder un vide-ordures et de prendre l'ascenseur
au lieu de monter les escaliers, leurs nouveaux locataires s'entassaient
allégrement dans ces cubes de béton en criant au
progrès.
J'ai l'impression que Henri Verneuil ne partageait
pas leur point de vue. Il est en effet très dur avec la
ville. Lorsqu'il la filme, l'il de sa caméra est
impitoyable. Il montre à quel point elle peut être
froide et inhumaine, surtout la nuit. Les milliers de lumières
qui brillent aux fenêtres des tours, et qui pourraient
dans un autre contexte suggérer la présence d'un
peu de chaleur humaine, sont si glauques qu'on préférerait
presque que l'obscurité soit totale. De même, les
dialogues de certains personnages (le concierge de l'immeuble
dans lequel habitait Nora Elmer) sont éloquents. Quant
aux passants, ces anonymes qui pourraient être vous, moi
ou n'importe qui dans la ville... Quoi qu'il arrive, ils ne savent
que s'agglutiner sur le trottoir et lever le nez en l'air pour
regarder ce qui se passe. Sont-ils encore vivants, ou bien la
ville les a-t-elle lobotomisés comme ces mannequins entassés
dans la réserve du grand magasin parisien dans lequel
Letellier poursuit Minos ? Cette scène, très
symbolique, n'est probablement pas là par hasard. On dirait
que ces passants attendent avec fatalisme l'arrivée de
Minos qui, en leur balançant une grenade, va les débarrasser
du fardeau de leur existence, tout comme les mannequins de la
réserve attendent passivement qu'une balle leur fasse
exploser la tête.
Au fil de l'histoire, une morale émerge
petit à petit et j'imagine volontiers la réaction
à chaud des spectateurs qui ont vu le film lors de sa
sortie :
Avec leurs villes nouvelles, ils font finir
par nous fabriquer des Minos à la chaîne !
Vision ô combien prémonitoire ! Les
cinéastes sont parfois des prophètes, mais tant
pis pour nous si nous refusons de comprendre les images qu'ils
nous montrent.
La meilleure scène
Je suis très bon public lorsqu'il s'agit de Bebel.
Ce mec a l'air tellement sympa qu'il semble être le seul
personnage vraiment vivant du film. Il crève littéralement
le petit et le grand écran, et je ne me lasse pas de voir
et revoir les quatre grandes scènes d'action de Peur
sur la ville :
- la poursuite après le hold up
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- la poursuite sur les toits
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- la poursuite dans le métro
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- l'attaque de l'appartement de Pamela Sweet
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Mais, à mon avis, le grand intérêt de
Peur sur la ville est la peinture de la France de 1975
qu'il contient. Lorsque je revois ce film, sa puissance d'évocation
est telle que je replonge immédiatement dans l'ambiance
de l'époque. Je me revois, gamin d'une quinzaine d'années,
regardant avec un certain scepticisme ce CES flambant neuf, encastré
au milieu de tours tout aussi neuves, dans lequel j'allais. Y
étais-je vraiment plus heureux que dans un vieux bahut
aux tables bancales, couvertes d'initiales gravées par
les générations successives de lycéens ?
Je revois ce "mobilier urbain", pas encore constellé
de tags mais déjà si laid. Plus question d'attendre
le bus devant la mairie ou bien au coin du libraire : désormais
il fallait l'attendre à l'arrêt d'autobus, une guérite
identique à tous les autres arrêts d'autobus de
la ville. La standardisation, la déshumanisation de notre
cadre de vie était déjà bien avancée,
et nous n'avions rien vu arriver...
La nana
Dans Peur sur la ville, les nanas ne font que passer
devant Letellier, sans s'arrêter. Et pourtant, Minos ne
s'attaque pas aux plus laides... Même Hélène
Grammont (Catherine Morin), chez qui Letellier habitera dans
le cadre de son enquête, ne vivra pas assez longtemps pour
construire une relation avec lui. Encore une vision prémonitoire : Minos
est un peu le messager du progrès qui, dans les années
qui suivront, bouffera nos vies privées.
La réédition en
Pour sa sortie en DVD, le film a été
remastérisé. La différence avec ma vieille
VHS est flagrante, les couleurs ont enfin recouvré leur
éclat. Dans les scènes de jour, on retrouve les
teintes vives qu'on utilisait largement pour tenter d'égayer
les lieux publics. Ce n'est pas pour rien que certains sociologues
appellent cette époque les années orange.
Souvenez-vous des avalanches de couleurs dans les centres commerciaux
en 1973-1975, et de la mode bariolée dans les rues.
La bande son aussi a été restaurée,
et on retrouve le vrai bruit des années 70 : la circulation,
les rames de métro, le bourdonnement des escalators dans
les stations, tous ces bruits qui sont enfouis dans l'inconscient
de ceux qui ont connu cette période et qui vont probablement
faire ressurgir des tas de souvenirs.
En ce qui concerne les bonus, le DVD contient
entre autres :
- La bande annonce du film qui est intéressante,
car certains plans qui y figurent sont inédits. Dans le
film, ils sont pris sous un autre angle.
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- Une interview de Jean-Paul Belmondo et de Henri
Verneuil
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