Avant le concert
Le dimanche 8 juin 1969, Brian Jones décide de quitter
les Rolling Stones. Depuis plusieurs mois déjà,
ses goûts en matière de musique divergeaient de
plus en plus de ceux de Mick Jagger et Keith Richards. En 1966,
il s'était rendu au Maroc pour enregistrer les musiciens
de Jajouka et avait littéralement craqué pour leur
musique. Il avait ensuite produit l'album Brian Jones presents
the Pipes of Pan at Jajouka. Dans les notes de pochettes
figuraient ces quelques mots :
Vous reconnaîtrez votre propre musique le jour où
vous l'entendrez.
Brian venait probablement de reconnaître la sienne.
La nouvelle est communiquée à la presse dès
le lendemain. Cette décision de faire cavalier seul, peut-être
pas vraiment prise de son plein gré, arrange tout le monde.
Pour le remplacer, Mick Jagger, sur les conseils avisés
de John Mayall, recrute Mick Taylor. Ce jeune prodige de 21 ans,
lead guitarist des Bluesbreakers de John Mayall, était
en effet disponible puisque son patron venait de décider
de tout plaquer et de s'expatrier aux USA (ce qui nous a donné
l'excellent album Blues from Laurel Canyon). Le 13 juin,
Mick Taylor est présenté à la presse puis
entre en studio avec les Stones pour l'enregistrement du single
Honky Tonk Woman / You can't always get what
you want qui paraîtra en juillet. Pendant ce temps,
Brian Jones s'achète un manoir dans le Sussex et commence
à réfléchir (du moins les jours où
il a les idées claires...) à la suite de sa carrière.
Suite à des tas de problèmes (surtout d'ordre
judiciaire...), la dernière apparition des Stones sur
scène remonte à mai 1968. Il est temps de faire
quelque-chose et Mick Jagger a alors l'idée d'organiser
un concert pour présenter officiellement au public le
nouveau guitariste du groupe. Mais dans quelle ville ? Il songe
d'abord à Rome puis, pour un problème de délais,
se rabat sur un projet plus simple à réaliser : un
concert à Londres. L'idée est la suivante : le
concert sera gratuit et se déroulera sur les pelouses
de Hyde Park. Les Stones passeront en vedettes, après
plusieurs groupes dont King Crimsom, Alexis Korner et Family.
Mais deux jours avant la date prévue, le 3 juillet
en fin de soirée, Anna, la petite amie de Brian Jones,
le trouve inanimé dans sa piscine. Tous les efforts pour
le réanimer seront vains et le médecin appelé
à son chevet ne pourra que constater son décès.
Anna téléphone immédiatement aux Stones
qui à cette heure tardive sont encore en studio, en train
d'enregistrer I Don't Know Why (album Metamorphosis).
Ils songent tout d'abord à annuler purement et simplement
le concert, puis décident d'en faire un concert d'adieu
à Brian.
Le concert
Le 5 juillet 1969, un samedi matin à Hyde Park. Un
bobby fait sa ronde en cyclomoteur pendant qu'une jeune hippie
fait des bulles de savon qui s'envolent au vent. Les deux mille
personnes qui sont arrivées la vieille au soir et qui
ont dormi sur la pelouse commencent à émerger de
leurs couvertures. Un plongeur matinal pique une tête dans
the Serpentine. Tiens, on entend un solo de bottleneck !
Mais nous sommes déjà en plein milieu de Midnight
Rambler, alors que le concert des Stones n'a commencé
que vers 15 heures... Dès le début, le ton est
donné : nous ne regardons pas un concert filmé
mais un reportage. Nous verrons un patchwork de courts moments,
sans respect pour la chronologie des événements.
Dernier couplet de Midnight Rambler, le tempo s'accélère,
le public tape dans ses mains et on entrevoit Marianne Faithfull
qui sourit à gauche de la scène.
Flash back pour une courte interview de Mick Jagger réalisée
avant le concert. Il espère que les Stones feront plus
que simplement jouer de la musique. La musique, on peut en faire
en studio. Il espère qu'il se passera quelque-chose entre
eux et le public, qu'il y aura un véritable échange.
A 9h15, le responsable de la sécurité organise
un briefing pour les membres du service d'ordre. Les Stones ont
décidé de confier cette tâche aux Hells Angels.
Gros plans sur des ados vêtus de blousons de cuir et arborant
chaînes et casques Allemands de la seconde guerre mondiale.
On les voit ensuite quelques heures plus tard, en pleine action,
indiquant par gestes dans quelle direction il faut évacuer
une personne malade (insolation ?). En fond sonore, une
annonce rappelle qu'une antenne médicale, des toilettes
et un espace pour les enfants perdus dans la foule sont à
la disposition du public. Etonnant...
A 10h30, les caméras quittent temporairement Hyde Park
pour aller flâner à King's Road, la rue branchée
de Londres. Des jeunes en tuniques indiennes et gilets Afghans
discutent. L'un d'eux joint les mains devant son visage et s'incline
devant les autres : salut à l'Indienne. Ils
se confient au journaliste : ils se sentent plus proches
des Stones que des Beatles. Après tout, en devenant MBE
(Member of the British Empire), les Beatles ont été
récupérés par l'establishment. Quant
au concert, il devrait se dérouler dans le calme, sauf
si...
Retour sur la scène. Les Stones attaquent Satisfaction,
avec des larsens et un Mick Taylor pas très bien accordé.
Dans le public, on commence à danser. Une des danseuses,
au regard extatique, semble déjà bien high.
Mick improvise des paroles sur le thème de la journée : se
faire plaisir. Gros plan trop fugitif sur une frimousse blonde.
Mais qui a dit que les Anglaises n'étaient pas jolies ?
Détour par Speakers' Corner, l'endroit du parc où
chacun peut exprimer librement n'importe quelle opinion sur n'importe
quel sujet. Des comédiens nous présentent une allégorie
du système capitaliste : un ouvrier qui s'épuise
à creuser avec une pelle, un patron dont le haut-de-forme
et le nud papillon sont constellés de "£"
et une jeune femme interprétant le rôle d'une démocratie
pas trop farouche. Le récitant nous invite à assister
à l'exploitation... pardon, aux exploits de ce système.
Puisque nous sommes en train de parler d'argent, retrouvons Mick
avant le concert. Il démontre pourquoi un concert de ce
genre n'est jamais rentable, car il y a trop d'intervenants à
payer. Alors, autant en faire un concert gratuit. De plus, le
public sera vraiment content d'y participer. Toute l'idéologie
des sixties...
Les Stones attaquent un morceau qui semble avoir été
spécialement écrit pour l'occasion, tant ses paroles
collent à l'ambiance de cet après-midi d'été : I'm
free. Dans le parc, l'activité est celle d'un samedi
ordinaire. Des pêcheurs jettent leur ligne, d'autres personnes
se promènent à pied ou en barque, d'autres encore
jouent aux boules ou bien font de l'équitation.
14h30. Mick Jagger, Marianne Faithfull et son fils Nicolas
quittent leur domicile de Chelsea pour monter dans une Limousine.
Ils se rendent dans un hôtel situé à proximité
du parc. Nicolas se demande ce que Charlie (Watts) va faire.
Jouer de la batterie, bien sûr ! Mick se sent un peu
nerveux.
Intermède écolo : il y a maintenant
près de 300 000 fans devant la scène et, pour mieux
voir, certains décident de monter aux arbres. Ils se font
sermonner et on leur demande de respecter les arbres du parc.
Pendant ce temps, ignorant le tumulte qui se déroule autour
d'elle, une jeune fille tricote.
Derniers préparatifs, puis les Stones montent dans...
un panier à salade qui les conduit jusqu'à la scène.
Les Hells doivent alors faire une chaîne pour contenir
la foule. Les Stones descendent du camion et entrent dans une
caravane où Keith et Mick Taylor s'accordent et s'échauffent.
Dans 15 minutes, ils vont monter sur scène. Une vieille
dame démontre, à l'aide d'une ardoise et d'une
craie, qu'il existe un lien entre le mot "harpe" et
l'instrument du même nom, entre le signifiant et le signifié.
Retour sur scène. Mick demande au public un instant
de silence, ouvre un recueil de poèmes et lit un extrait
d'Adonais de Percy Bysshe Shelley qu'il dédie à
Brian Jones :
Paix, paix ! il n'est pas mort, il ne dort pas
Il s'est éveillé du rêve de la vie
A cet instant, des milliers de papillons blancs sont lâchés
sur le public.
Les Stones enchaînent ensuite avec I'm Yours, She's
Mine, un morceau inédit. Cette fois, les caméras
s'intéressent plus à ce qui se passe sur la scène
que dans le parc. Les Stones continuent avec Jumpin' Jack
Flash, Honky Tonk Woman et Love in Vain. Sur
ce morceau, Mick Taylor n'a pas encore mis au point le fameux
solo de slide qui sera un des grands moments de la tournée
américaine de 1969 et de l'album live Get her ya ya's
out qui en résultera l'année suivante.
Des percussionnistes Africains montent sur scène et
c'est le final : Sympathy for the Devil. Des
filles essaient de se hisser sur le podium pour toucher Mick.
Un des percussionnistes saisit une lance et se met à danser
sur le devant de la scène. Mais des groupies réussissent
finalement à monter sur le podium. On les fait redescendre
ou bien on les évacue manu militari. Des hippies dansent
sur le toit d'un bus VW, même les Hells s'y mettent. Hélas,
Mick annonce que le concert est fini. Gros plans sur des visages
de spectateurs heureux. Un autre gros plan sur un visage connu : Paul
McCartney était aussi de la fête, au milieu du public.
Le concert est terminé. Des hippies ramassent les détritus
abandonnés sur la pelouse et les enfournent dans de grands
sacs. Du jamais vu... Une mamie contemple la scène d'un
il sceptique.
Après le concert
Après le concert, il y aura tout d'abord les commentaires
de la presse, le lendemain matin. Elle est enthousiaste. Puis,
le 10 juillet, Brian Jones sera inhumé à Cheltenham.
Le 11, le single Honky Tonk Woman / You can't
always get what you want sera dans les bacs. Le 2 septembre,
The Stones in the park, le reportage filmé par
Granada durant le concert sera diffusé à la télévision
Anglaise. Pour finir, le 12 septembre, paraitra une compilation
dédiée à Brian : Through the
past darkly (Big Hits, Vol.2), avec sa jolie pochette octogonale
bleue. A l'intérieur de la pochette se trouvent ces quelques
mots :
BRIAN JONES (1943 - 1969)
Quand vous verrez ceci, souvenez-vous de moi
Et ne me jugez pas trop sévèrement
Laissez les gens parler
Dites de moi ce que vous voudrez
Pourquoi j'aime ce reportage
En regardant The Stones in the park pour la première
fois, j'avoue avoir été déçu. J'attendais
un vrai concert, mais les caméras filmaient plus souvent
backstage et dans le public que sur la scène. La balance
n'était pas toujours bonne, les morceaux étaient
présentés en vrac, souvent amputés d'une
partie des paroles et la moitié des chansons interprétées
ce jour-là (I've been loving you too long, Stray
cat blues, Down home girl, Mercy, mercy, Street
fighting man, No expectations) était carrément
absente. Quant aux prestations des groupes qui assuraient la
première partie des Stones (Third ear band, King Crimsom,
Screw, Alexis Corner, Battered ornaments et Family), trente ans
après, on peut dire sans trop prendre de risques que nous
n'en verrons jamais la couleur.
Et pourtant, au lieu d'enterrer la cassette sur une étagère,
je continuais à la regarder de temps en temps, et pour
être honnête avec un certain plaisir. J'ai fini par
me demander pourquoi... En fait, je crois que The Stones in
the park est plus un grand moment qu'un grand concert, si
vous voyez ce que je veux dire.
Qui pourrait aujourd'hui rassembler 300 000 personnes
dans un endroit non prévu à cet effet et s'en sortir
sans casse ? Le spectateur le plus violent ayant assisté
à ce concert fut probablement... le soleil, qui a causé
quelques insolations. Qui pourrait aujourd'hui interdire à
ces 300 000 personnes de grimper aux arbres sans qu'ils
rasent tout dans un rayon d'un kilomètre en guise de représailles ?
Qui pourrait espérer aujourd'hui que cette foule ramasserait
ses propres détritus avant de s'en aller ? Et surtout,
quel grand groupe de notoriété internationale aurait
aujourd'hui envie d'offrir un concert
à 300 000 fans, juste pour le fun ? Pas de doute,
c'était une autre époque...
On a dit beaucoup de choses sur les sixties, y compris que
des manifestants offraient parfois des fleurs à la police.
Parce qu'elle a plus souvent filmé le public que les musiciens,
l'équipe de Granada apporte ici une preuve tangible du
climat bon enfant qui régnait à l'époque.
Avec sa mosaïque de petites scènes plus ou moins
décousues, ce reportage à un goût de souvenirs,
ceux d'un concert dont on a l'impression de se souvenir sans
y avoir jamais assisté. Celui ou celle qui regarde cette
vidéo aujourd'hui en ressort détendu (et aussi
un peu nostalgique).
Je ne peux pas conclure cette page sans évoquer la
tournée américaine de novembre 1969. Donc, à
partir du 7 novembre, les Stones donnent une série de
concerts aux USA, dont deux au Madison Square Garden de New York
(les 27 et 28 novembre) qui seront enregistrés pour l'album
Get her ya ya's out. Pour terminer la tournée en
beauté, ils décident de faire comme à Londres : de
donner un concert gratuit, le 6 décembre, et d'en confier
la sécurité aux Hells Angels. Ce sera Altamont,
un des jours maudits de l'histoire du rock.
La réédition
en
En quelques mots : vous ne trouverez sur le
DVD ni bonus, ni sous-titres, ni chansons inédites, ni
scènes coupées au montage. Pas trace non plus de
la première partie du concert.
Alors, pourquoi l'acheter, me direz-vous ? Tout simplement
parce les cassettes vidéo finissent par s'user lorsqu'on
les regarde trop souvent.. Et puis, la remasterisation est meilleure
que sur la VHS.
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