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Un soir, le grand-père d'Henri Vincenot rentre tard chez lui. Il prend sa brouette, un sac et fait signe à son petit-fils de le suivre. Après 45 minutes de marche dans l'obscurité, il lui demande de s'accroupir au pied d'un buisson et lui fait explorer le sol à tâtons. Dans les broussailles, les petits doigts de l'enfant découvrent le corps encore tiède d'un jeune chevreuil. Mais il faut vite le mettre dans le sac et l'emporter le plus discrètement possible, car son grand-père a tué l'animal en dehors des périodes de chasse... Pourquoi j'aime ce livreDans ce roman, Henri Vincenot nous raconte son enfance en Bourgogne, dans les années vingt, puis ses études "à la ville". Comme son titre l'indique, il nous entraîne avec lui à la billebaude, au hasard des promenades ou bien des parties de chasse dans ces bois qu'il aime tant. Henri Vincenot était un conteur extraordinaire, et quelques pages seulement suffisent à nous faire tomber sous le charme de cette Bourgogne d'autrefois. Au fil des chapitres, on rencontre des personnages plus truculents les uns que les autres, des personnages authentiques, bon-vivants et surtout libres. En les regardant vivre, on ne peut que trouver notre époque encore un peu plus fadasse. Hélas, les bonnes choses ne durent pas, et voici venir les prémisses du progrès. L'auteur en profite alors pour émailler son récit de réflexions personnelles et caustiques sur la modernité (qu'aurait-il écrit s'il avait vécu à notre époque ?) Mais nous ne sommes pas encore au bout de nos surprises... Sur le plan culturel, les Bourguignons des années vingt étonneraient plus d'un de nos contemporains. Ils lisaient et prenaient la peine d'annoter, de génération en génération, leurs livres. Durant l'Avent ils connaissaient la signification des Ô de Noël, ces fameuses antiennes illustrées par Marc-Antoine Charpentier au XVIIe siècle. Qui peut en dire autant aujourd'hui, en dehors des mélomanes qui s'intéressent à la musique ancienne ? Quant à la notion de pauvreté, elle était très différente de celle que nous connaissons. Un pauvre était certes quelqu'un qui n'avait pas d'argent, mais ce n'était pas forcément un malheureux et certainement pas un exclus. Un repas de pauvre était un repas qu'on pouvait s'offrir sans bourse délier. C'est ainsi qu'une douzaine d'escargots ramassée après une averse, qu'un brochet pêché dans un étang ou qu'un lièvre "à la royale" (c'est à dire un lièvre pris au collet, cuit avec sa peau sous la braise et servi avec une purée de morilles) étaient des repas de pauvre. Et oui, la nature était un hypermarché aux rayons inépuisables et dont les produits étaient gratuits pour tous. Justement, La Billebaude est aussi et surtout un hymne à la nature. Si ces personnages ont l'air d'être si heureux, aujourd'hui on dirait si bien dans leur peau, c'est en grande partie grâce à elle. A cette époque, on vivait et on travaillait près de la nature. On était paysan, bourrelier, garde-chasse, boulanger, instituteur, éventuellement prêtre, mais jamais médiateur ou agent d'ambiance. Ces professions n'existaient pas, car on n'en avait pas besoin. De l'ambiance, il y en avait lorsqu'une bande de sangliers déboulait sur votre chemin, et la seule médiation possible consistait à courir se mettre à l'abri... Je ne peux pas résister au plaisir de reprendre cette citation de Bernard Shaw, figurant au chapitre 7, et qui résume si bien la situation :
Dans les années quatre-vingt, j'ai lu et relu ce roman je ne sais combien de fois. Attention, à haute dose il peut être contagieux et je pense qu'il a dû peser lourd dans la balance lorsque j'ai décidé de déménager à la campagne. Idéalement, il faudrait le lire assis sur un tronc d'arbre, au milieu d'un bois, à quelques kilomètres de toute civilisation. Mais soyez rassurés si ça ne vous est pas possible : la force du récit d'Henri Vincenot est telle que vous aurez l'impression, au bout d'une page ou deux, de vous trouver vraiment sur votre tronc d'arbre préféré, en pleine forêt. Ce livre sent la mousse et la fraîcheur des sous-bois. Lorsque je l'ai lu pour la première fois, j'ai trouvé La Billebaude passionnant parce qu'il remettait en cause toutes mes certitudes sur le progrès et ses bienfaits. Aujourd'hui, alors que je pense que nous vivons plus mal qu'en 1978, il est devenu un livre indispensable que chacun devrait lire, quitte à se poser ensuite des tas de questions sur sa vie quotidienne. Le meilleur passageAu chapitre 3, Henri Vincenot nous décrit les fêtes de Noël : la grande chasse à laquelle tous les chasseurs du village participent, la bûche de Noël, la messe de minuit. C'est marrant, j'avais oublié ce passage et je l'ai redécouvert lorsque j'ai relu La Billebaude pour préparer cette page. En plus de raconter ses souvenirs d'enfance, l'auteur nous donne quelques explications sur ce qu'il appelle « la fête du solstice et de l'espoir réunis ». A travers des coutumes, telles que celle consistant à allumer la bûche de Noël avec un tison conservé précieusement depuis la St Jean (le 24 juin, c'est à dire au solstice d'été), on comprend que les Bourguignons d'autrefois, comme tant d'autres avant eux, avaient tout compris de la roue de l'année. |
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