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A Maid That's Deep In Love |
When I Was In My Prime |
Lord Franklin |
Cruel Sister |
Jack Orion |
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Chronologie
Cruel Sister est paru en 1970. Quatrième album
de Pentangle, il se positionne entre Basket Of Light (1969)
et Reflection (1971) dans
la discographie du groupe.
Le disque en détail
A Maid That's Deep In Love
Dès le premier morceau, le ton de l'album est donné :
d'un côté nous avons les arpèges acoustiques
de Bert Jansch (ici, au dulcimer), de l'autre la guitare électrique
de John Renbourn et au milieu la merveilleuse voix de Jacqui
McShee qui interprète un air traditionnel.
Pour rejoindre son beau Jimmy, la demoiselle dont il est question
dans la chanson se déguise en homme et devient marin.
Mais un jour, le capitaine du navire sur lequel elle a embarqué
s'aperçoit que sa nouvelle recrue n'est pas un garçon...
De toute la discographie de Pentangle, A Maid That's Deep
In Love est peut-être le morceau qui donne le plus
une impression d'unité. John Renbourn, pour répondre
aux vocaux de Jacqui McShee, part chercher l'inspiration jusqu'aux
Indes et double parfois ses solos à la guitare acoustique,
Bert Jansch tricote de bien jolis accords, la rythmique Danny
Thompson (basse) / Terry Cox (batterie) porte le tout et
pourtant on a l'impression qu'ils ne font qu'un tant leur jeu
est carré.
When I Was In My Prime
Peut-on faire plus sobre que cette ballade, interprétée
a capella par la seule Jacqui ? Le tempo est lent, ce qui
nous laisse tout le temps pour apprécier le vibrato de
sa voix et l'histoire de cette donzelle qui refuse toutes les
avances d'un jardinier.
Elle refuse tout d'abord une première rose, qui ne
fleurit pas assez longtemps, puis une seconde qu'elle trouve
trop pâle à son goût et préfère
attendre la floraison d'une troisième rose en juin. Mais
en juin, elle effeuille la troisième rose et décide
de planter un saule. Son soupirant devra attendre qu'il soit
en fleurs, dans un an, pour qu'elle lui donne enfin sa réponse.
Quand elles ont décidé de nous faire tourner
en bourrique... En tout cas, Jacqui chante divinement.
Lord Franklin
John Renbourn chante et joue de la guitare, Bert Jansch l'accompagne
au concertina, Jacqui ne viendra mêler sa voix à
celle de John qu'au troisième couplet. Cette chanson de
marin raconte la triste histoire de Sir John Franklin, disparu
en mer en 1847 alors qu'il cherchait un passage vers le pôle
Nord. Les notes chaleureuses du concertina et de la guitare électrique
contrastent agréablement avec la froideur des paroles
qui évoquent icebergs, eskimos, baleines qui soufflent
et marins disparus qui reposent au fond de l'océan glacé.
Lord Franklin contient quelques-unes des plus belles
interventions de John Renbourn à la guitare électrique,
tous albums confondus.
Cruel Sister
Tiens ! John a sorti son sitar, ce qui nous permet de
nous rappeler qu'il est, avec George Harrison, l'un des rares
musiciens anglais à vraiment savoir jouer de cet instrument
compliqué.
Cruel Sister raconte l'histoire d'une dame qui a deux
filles : une blonde et une brune. Un jour, un chevalier
courtise la jeune fille blonde. Sa sur est si jalouse qu'elle
la jette à la mer et la laisse se noyer. Mais son corps
flotte jusqu'au rivage où des ménestrels décident
de fabriquer une harpe avec... ses os et ses cheveux. Le destin
veut qu'ils donnent un concert chez la jeune fille brune. Dès
que la harpe est posée au sol, elle se met à jouer
toute seule : d'abord un air triste pour lui rappeler son
crime, puis un second air terrifiant, puis un troisième
qui la fait fondre en larmes.
Cette chanson est chargée de symboles provenant des
vieilles légendes Celtiques :
- la dualité du bien et du mal, incarnée
par les deux jeunes filles. Evidemment, la méchante est
la brune.
- les changements d'état qui peuvent affecter
les êtres, ici femme => harpe
- le retour, parfois sous une autre forme, pour
que le karma s'accomplisse
Jack Orion
Cette longue ballade de 18 minutes 30 occupait à elle
seul toute la face B du 33 tours. A l'origine, il s'agissait
probablement d'une "leçon de morale" destinée
à apprendre aux jeunes filles des siècles passés
à se méfier des jeunes gens trop entreprenants.
Jack Orion est un violoniste, le meilleur qui ait jamais existé.
Il est si doué qu'il peut avec son instrument (ce n'est
pas moi qui le dit, mais la chanson) faire jaillir le poisson
hors de l'eau et même donner du lait à une
femme qui n'a encore jamais eu d'enfant. Jack vient de donner
un concert pour le roi et il a si bien joué que tous les
spectateurs se sont endormis, épuisés, sauf la
princesse qui n'a d'yeux que pour lui et qui lui demande de venir
la rejoindre dans son boudoir. Jack rentre chez lui et demande
à Tom, son jeune page, de le réveiller lorsque
le coq aura chanté. Mais Tom abuse de la confiance de
son maître : il enfile ses vêtements et se fait
passer pour lui auprès de la princesse. Là, dans
le boudoir, à la faveur de l'obscurité... Puis
il repart comme il était venu, sans même l'avoir
embrassée ni avant, ni après (nous dit encore
la chanson). Il retourne réveiller son maître qui,
ne se doutant de rien, va rejoindre la princesse. Comme on peut
le deviner, elle le reçoit plutôt fraîchement
et lui demande s'il est revenu... chercher un de ses gants qu'il
aurait oubliés lors de sa précédente visite.
Jack ne comprend pas la raison de cette froideur et lui jure
qu'il n'a jamais mis les pieds chez elle auparavant. La princesse
réalise alors qu'elle s'est laissée séduire
par Tom et, déshonorée, saisit un couteau et se
tue. Jack, désespéré, retourne chez lui,
tue Tom et pour finir se tue également. Trois - zéro :
on ne rigolait pas à l'époque.
Dix-huit minutes, c'est long et Pentangle peut donc tranquillement
alterner couplets et longues parties instrumentales. C'est le
moment où Danny Thompson et Terry Cox peuvent enfin se
lâcher. Solos de guitare acoustique et de contrebasse plutôt
jazzy, solos de guitare électrique plutôt rock,
flûtes moyenâgeuses : il y en a ici pour tous
les goûts.
Pour la petite histoire, Fairport Convention a également
enregistré une version de Jack Orion sur l'album
Tipplers Tales et Dave Swarbrick (le violoniste du groupe)
s'y amuse comme un fou. On a l'impression qu'il devient, l'espace
de quelques minutes, Jack Orion en personne.
Pourquoi j'aime ce disque
Cruel Sister est, à mon avis, l'album de Pentangle
qui a le mieux vieilli. Avant 1970, le groupe ne jouait que sur
des instruments acoustiques et sa musique manquait parfois de
punch. Après 1970, ses recherches musicales seront plus
aventureuses, Pentangle essaiera avec plus ou moins de bonheur
de fusionner le folk anglais avec le jazz, le blues et la musique
indienne. Les albums suivants contiendront des morceaux parfois
superbes (Wedding Dress, Rain & Snow, So
Clear, Reflection, The Cherry Tree Carol, Willy
O'winsbury), mais aussi parfois un peu déroutants
pour qui n'est pas préparé à entendre une
musique aux parfums de jam session entre Ravi Shankar, Ron Carter
et Pete Seeger...
C'est un grand disque de folk-rock anglais, et c'est là
sa seule prétention. Au folk, il emprunte son répertoire,
la douce voix de la chanteuse et les instruments acoustiques ;
au rock, il emprunte le son saturé des guitares électriques ;
au jazz et à la musique indienne, il n'emprunte qu'une
touche d'originalité et un peu de couleur. C'est donc
un disque accessible à tous, un disque qui fera découvrir
à ceux qui ne connaissent pas cette musique à quel
point le folklore anglo-saxon est riche de mélodies splendides
(surtout lorsqu'elles sont chantées par Jacqui McShee)
et d'histoires parfois étonnantes.
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