Pour commencer, une petite précision : l'album
et la suite constituée par les 5 premiers morceaux possèdent
le même titre, d'où un risque de confusion. Donc,
la Messe pour le temps présent dont je vais vous
parler est en fait la première suite de l'album. Les autres
suites sont d'une approche beaucoup plus difficile pour quelqu'un
qui n'est pas familiarisé avec ce genre de musique. Ceci
dit, il m'arrive parfois d'écouter le disque presque en
entier, mais je cale lorsque j'arrive à Variation Pour
Une Porte Et Un Soupir. Glups !
Prologue
Dès la première mesure, le ton est donné : sons
électroniques, orgue jazzy, basse et batterie rock. Pierre
Henry nous emmène dans un monde de fusion dans lequel
les sonorités électro-acoustiques se fondent dans
une parfaite harmonie avec le Pop Music de la fin des sixties.
Psyché Rock
Si Pierre Henry recherchait à démocratiser la
musique d'avant garde, alors Psyché Rock est probablement
sa plus belle réussite. En effet, je suis certain que
quelquesoient les musiques que vous écoutez d'habitude
vous connaissez tous cette mélodie. Les grilles d'accords,
le son (la fuzz box) et le tempo proviennent en droite ligne
de la baie de San Francisco. Par contre, les sonorités
électro-acoustiques ont l'air de provenir de l'espace.
Comme ce morceau sonne moderne ! Ecouter Psyché
Rock aujourd'hui, c'est comme se rendre à une surboum
en soucoupe volante.
Jericho Jerk
Un autre morceau très connu. Cette fois, Pierre Henry
fait dans la musique planante et on s'imagine en train de flotter
dans l'espace au milieu de tout un tas de créatures bizarres
et pas toutes d'origine Terrienne. Mais voici qu'un trio de musiciens
(orgue, basse, batterie) se met à swinguer en état
d'apesanteur pour le plus grand plaisir de tout ce public disparate.
Bienvenue dans le plus grand show intergalactique !
Teen Tonic
Le spectacle continue et l'ambiance est maintenant celle d'une
boite de nuit. Tous les spectateurs se balancent au rythme lancinant
de la musique.
Too Fortiche
Mail il est temps de redescendre. Pour finir en beauté,
pourquoi pas une jam ? Le guitariste se lance dans
une longue improvisation, et une fois encore on pense au rock
psychédélique de San Francisco.
J'ai découvert la Messe pour le temps présent
plusieurs années après sa sortie. C'était,
je crois, en 1974 ou 1975. A l'époque j'avais une super
prof de musique qui, non contente de ressembler à Barbarella
qui aurait troqué son vaisseau spatial contre une vieille
2 CV, et de se fringuer comme un top-model, possédait
un placard rempli de disques.
Elle terminait parfois son cours par un exercice consistant
à sortir un 33 tours de son placard sans nous dire de
quoi il s'agissait, à nous en faire écouter un
extrait, puis à nous demander de rédiger un texte
de quelques lignes dans lequel nous devions essayer de raconter
"l'histoire qui se cachait derrière la mélodie".
Elle n'était généralement pas déçue
du résultat... Comme l'exercice était imposé,
ce n'était pour nous qu'une occasion supplémentaire
de délirer et de rigoler un maximum. Si ce pauvre Arthur
Honneger avait pu deviner que sa musique nous ferait penser...
à un match de foot, ou si Georges Bizet avait su que son
Arlésienne nous suggérerait... le western
diffusé la veille à la télé, auraient-ils
persévéré dans leur art ? Un seul disque
nous plaisait au point d'être écouté dans
un silence quasi-religieux : la Messe pour le temps
présent. Il nous arrivait même de prendre l'initiative
et de demander à notre Barbarella de nous mettre ce que
nous appelions "le disque de musique électronique".
Puis les années ont passé. Cette musique continuait
à me plaire, mais je n'avais jamais réussi à
me procurer l'album. Pensez : "de la musique électronique",
c'est un peu vague pour commander un disque. Lorsque Psyché
Rock était diffusé sur les ondes, j'augmentais
le volume sonore de la radio en espérant que le présentateur
donnerait enfin le titre du morceau, mais hélas sans résultat.
Finalement, en 1997, le disque a été réédité
en CD et le hasard a voulu qu'un de mes collègues m'en
parle :
... tu sais bien, la "Messe pour le temps présent"
de Pierre Henry, le disque de musique électronique.
Tu connais sûrement ?
Si je connaissais ? Le jour même, j'ai foncé
chez mon disquaire et vous devinez la suite.
Je trouve que les 5 morceaux qui constituent la Messe pour
le temps présent ont fort bien vieilli. Lorsque je
les ré écoute aujourd'hui, je retrouve intactes
toutes les sensations que j'éprouvais il y a 30 ans. Dans
les seventies, la Messe pour le temps présent était
une uvre résolument moderne qui suggérait
un futur à la fois technologique et heureux. Au boulot
les machines, au dancing les humains ! A l'écoute
de cette musique, toutes les utopies des auteurs de science-fiction
semblaient soudain réalisables. Lorsqu'on est adolescent
on attend beaucoup de l'avenir : une longue vie heureuse
et sans soucis, un métier passionnant et rémunérateur,
une société plus humaine et pourquoi pas... des
copines ressemblant toutes à Barbarella. La Messe pour
le temps présent était pour moi la bande originale
de ce futur prometteur. A une époque où la France
possédait un président sympa qui donnait des interviews
à la terrasse d'un café, et qui répondait
aux questions des journalistes avec un verre d'apéro à
la main et la clope au bec, à une époque où
en levant les yeux en l'air on aurait pu voir passer un des prototypes
du Concorde, cet avion révolutionnaire au look de vaisseau
spatial, à une époque où la musique était
si belle et le cinéma si libre, nous étions toute
une génération à avoir de bonnes raisons
d'être à la fois optimistes et fiers d'être
Français.
Malheureusement cette euphorie fut de courte durée : les
effets de la crise du pétrole et la "nouvelle société"
commencèrent rapidement à se faire sentir dans
la vie de tous les jours. Bientôt, il faudrait dire au
revoir au petit pavillon de banlieue qui était le but
de chaque dès son entrée dans la vie active, au
litre d'essence à 1FF et aux augmentations de salaires
qui suivaient, voire précédaient, l'inflation.
Arriveraient alors la peur du lendemain, les cités dortoirs
et les cages à lapins en béton dépeintes
par Henri Verneuil dans Peur
sur la ville. Les adultes de l'époque ont été
les premiers à ne pas apprécier cette vie qu'ils
n'avaient pas choisie et à laquelle ils n'étaient
pas préparés. Et leur blues s'est accru jusqu'à
se communiquer aux adolescents qui ont remplacé leurs
symboles de paix par des épingles à nourrice. Le
mouvement punk n'était pas loin, et no future allait
devenir le slogan de toute une génération.
La Messe pour le temps présent restera toujours
pour moi la musique optimiste d'un futur plus heureux. Mais ce
ne sera probablement pas un futur proche...