Tell Me What Is True Love ?
Pour obtenir ce son de guitare cristallin, qu'on retrouvera
sur tout l'album, Bert doit probablement jouer sur des cordes
à tirant extra-light. La chanson pose des questions que
nous nous sommes tous posées un jour ou l'autre :
Dites-moi ce qu'est le véritable amour
Dites-moi comment saurai-je
Y aura-t-il un signe
Comme l'automne qui annonce l'hiver ?
S'il existait une recette infaillible, ça se saurait...
Rosemary Lane
Une servante nous raconte sa triste histoire. Sept ans plus
tôt, un marin est venu passer la nuit à l'auberge
dans laquelle elle travaille. Il en est reparti le lendemain
matin en lui laissant trois pièces d'or et... un bébé
à venir. Elle s'est résignée à accepter
son sort :
Et bien, si c'est un garçon il se battra pour le
roi
Et si c'est une fille elle se mariera
Elle portera une bague en or et une robe aux couleurs éclatantes
Et se souviendra de moi à Rosemary Lane
Rythme à 3 temps, accompagnement de guitare à
la fois sobre et beau, mélodie inoubliable : Rosemary
Lane est l'archétype de la ballade folk anglaise traditionnelle.
Tout ce que j'aime.
A Dream, A Dream, A Dream
Bert est heureux, mais il sait bien que le bonheur est aussi
fragile qu'un rêve...
...qui s'évanouit comme la lune entre les nuages
On retrouve ici la patte de Bert Jansch, ces superbes progressions
d'accords dans lesquelles les basses n'arrivent pas toujours
là où on les attend, ce qui confère à
ses compositions un climat qui les rend uniques. Souvent imité,
jamais égalé.
Wayward Child
Encore un beau texte : un phoque mortellement atteint
par la pollution est venu s'échouer sur le sable brûlant
d'une plage de Californie. Jusqu'au bout, il se battra pour essayer
de regagner l'océan. Des enfants s'agglutinent autour
de lui et l'observent en riant.
Dans les notes concernant cette chanson, Bert Jansch a écrit
que la pollution représentait pour les USA une plus grande
menace que la Russie. Quand je pense qu'il a écrit ces
mots en 1971...
Alman
Ce court instrumental appartient à ce qu'on appelait
dans les seventies le Folk Baroque. Il s'agit d'un morceau composé
par Robert Johnson (précisons qu'il s'agit d'un homonyme
du célèbre bluesman), interprété
à l'origine sur un luth puis transposé pour la
guitare.
Qui pourrait se permettre aujourd'hui de prendre tout son
temps pour enregistrer un album solo ? Quelle compagnie
garderait-elle sous contrat un artiste, même célèbre,
qui travaillerait chez lui à la campagne, uniquement les
jours où il en aurait envie ? Qui oserait aujourd'hui
commercialiser un album sur lequel on n'entendrait qu'un chanteur
qui s'accompagne à la guitare ? On qualifierait immédiatement
la chose de « maquette » et on se dépêcherait
de l'égarer au fond d'un tiroir. Mais, en 1971, un disque,
même enregistré sur un magnétophone portable
dans un cottage du Sussex, finissait un jour par se retrouver
dans les bacs des disquaires.
Et c'est très bien ainsi, car il aurait été
dommage de passer à côté d'une telle perle.
Rosemary Lane est ce qu'on peut appeler un disque artisanal,
une parenthèse dans la carrière de quelqu'un qui
cartonnait très fort à l'époque au sein
de Pentangle (le groupe venait d'ailleurs de sortir l'album Cruel Sister). Là où
la musique de Bert avec Pentangle était sophistiquée
et complexe, permettant de prendre de longs solos pendant les
concerts, celle qui figure sur Rosemary Lane est un modèle
de sobriété, pas vraiment destinée à
être interprétées sur scène. Il faut
dire que les parties de guitare y sont si éthérées
que les applaudissements du public les auraient rendues inaudibles.
Mais au fait, Bert Jansch est-il un guitariste qui chante
des chansons ou bien un chanteur qui joue de la guitare ?
D'un album à l'autre, il a constamment recherché
le point d'équilibre entre ces deux extrêmes. Sur
Rosemary Lane, il y parvient enfin : il assume avec
le même brio les rôles d'auteur, compositeur, interprète
et musicien.
Rosemary Lane est une porte entrouverte sur son univers,
cet univers dans lequel les frontières du temps et de
l'espace sont abolies. Passé et présent ne font
qu'un, « Olde England » et Amérique
contemporaine ne sont qu'un seul et même pays. Seule importe
l'émotion qui émane de ces titres, la mélancolie
qui règne sur tout l'album, qu'elle ait pour cause les
mésaventures d'une servante d'autrefois ou l'agonie d'un
phoque sur une plage polluée, qu'elle ait pour cadre une
vieille auberge britannique ou un bar de Greenwich Village.
Voici donc (encore) un disque qui, puisqu'il n'appartient
à aucune époque, ne vieillira jamais, et nous aimerions
tous pouvoir en faire autant.