Norwegian Wood (This Bird Has Flown)
C'est sur cette chanson que le sitar (instrument traditionnel
indien auquel George Harrison commence à s'intéresser)
fait sa première apparition dans la musique des Beatles.
Quarante ans plus tard, ses sonorités conjuguées
à celles des guitares acoustiques et aux harmonies vocales
de John et Paul sont toujours aussi agréables à
écouter. Et pourtant, elles ont du dérouter bien
des fans lors de la parution du disque.
Quant aux paroles, elles sont vraiment trop belles pour être
vraies. John aurait rencontré une fille, l'aurait raccompagnée
chez elle avant de... discuter avec elle toute la nuit puis d'aller
dormir tout seul dans la baignoire. Que n'inventerait-on pas
pour éviter une scène de ménage en rentrant
chez soi le lendemain matin ?
Nowhere Man
« C'est un homme de nulle part, assis dans son
pays de nulle part et qui se fait des plans de nulle part pour
personne. »
Sur le plan musical, Nowhere Man ne possède
rien de révolutionnaire par rapport aux albums précédents
des Beatles. C'est au niveau des paroles qu'il faut chercher
l'évolution : en s'adressant à cet homme de
nulle part qui semble se ficher de tout, c'est un peu à
nous tous que John s'adresse afin de nous faire réfléchir
et, pourquoi pas, de nous faire changer. A l'origine simples
raconteurs d'histoires, les Beatles sont en train de devenir
les porte-parole de toute une génération.
I'm Looking Through You
Paul a des soucis : sa copine du moment, l'actrice Jane
Asher, est partie tourner un film à Bristol et il se retrouve
seul. En guise de règlement de comptes, il prend sa guitare
sèche et lui écrit ces quelques mots :
Pourquoi, dis-moi pourquoi m'as-tu si mal traité
?
L'amour a la sale habitude de disparaître du jour au lendemain.
Ah mais !
If I Needed Someone
Dès les premières mesures, on comprend que cette
chanson est un clin d'il aux Byrds. La guitare de George
sonne en effet comme celle de Roger McGuinn. Les autres Beatles
ne sont pas en reste et se lancent dans des harmonies vocales
aussi alambiquées que celles des Byrds.
Les paroles, écrites par George, sont plutôt
cyniques :
Ecris ton numéro de téléphone sur
mon mur
Et tu recevras peut-être un coup de fil de moi
Run For Your Life
Rubber Soul se termine par un retour au rock des albums
précédents, voire au skiffle des débuts
du groupe. John est lui aussi en train de régler ses comptes
avec Mme Lennon :
J'aimerais mieux te voir morte, ma petite, que te voir
avec un autre homme.
Six ans avant Jealous Guy, John avoue qu'il est « un
type méchant, venu au monde avec un esprit jaloux ».
Rubber Soul est l'album charnière de la discographie
des Beatles et peut-être même l'album charnière
des sixties. Mettons-nous un instant à la place d'un fan
qui le découvrirait en cette fin d'année 1965.
Tout d'abord, avec cette photographie de Robert Freeman volontairement
déformée et ce graphisme venu d'on ne sait où,
la pochette laisse pour le moins une étrange impression.
De plus, aucun des Fab-four n'y sourit. On dirait qu'ils sont
non pas tristes, mais graves. C'est comme s'ils voulaient nous
faire comprendre qu'ils allaient désormais aborder des
sujets sérieux.
Le titre de l'album n'est guère plus évident
à comprendre que sa photo de couverture : Rubber
Soul (= âme de caoutchouc). S'agit-il d'un indice indiquant
que la conscience des Beatles s'est élargie, que leur
esprit est désormais capable de s'adapter aux idées
nouvelles, ou bien n'est-ce qu'un mauvais jeu de mots de John
Lennon sur « rubber sole » (= semelle de
caoutchouc) ? Probablement un peu des deux...
Quant au contenu du disque, il est à l'image de son
contenant. Une bonne moitié des morceaux laisse, à
la première écoute, la même impression étrange
que la pochette. On dirait que les Beatles ne se satisfont plus
de ce qu'ils savaient si bien faire, on dirait qu'ils sont en
quête de nouveaux horizons musicaux. Ce sont non seulement
des sons nouveaux (le sitar sur Norwegian Wood, la fuzz
box sur Think For Yourself, le clavecin sur In My Life,
les guitares acoustiques qui sonnent vraiment folk sur Norwegian
Wood et I'm Looking Through You), mais aussi une nouvelle
façon d'écrire des chansons qu'ils expérimentent
ici. Ils ont compris (sous l'influence de Bob Dylan ?) qu'une
chanson peut traiter de n'importe quel sujet, y compris des sujets
les plus sérieux. Et ils ont écrit des textes qui
parlent de leurs problèmes relationnels, du malaise qu'ils
éprouvent dans leur vie de tous les jours. A cette époque,
George (If I Needed Someone), Paul (I'm Looking Through
You, You Won't See Me) et John (Run For Your Life)
ont l'air de vivre des moments difficiles. Ce dernier persiste
et signe avec Girl :
C'est le genre de fille que voulez tellement que ça
vous désole.
. . .
C'est le genre de fille qui vous démolit lorsque les amis
sont là : vous vous sentez idiot.
Même Ringo s'y met sur What Goes On :
Que se passe-t-il dans ton cur ?
Que se passe-t-il dans ta tête ?
Tu me déchires
Lorsque tu me traites si méchamment
Que se passe-t-il dans ta tête ?
Est-ce donc si difficile de vivre avec les autres lorsqu'on
est une star ou bien les Beatles sont-ils aussi dans leur vie
privée à la recherche d'horizons nouveaux ?
La vie ordinaire serait-elle devenue trop étriquée
pour eux ? Ca pourrait être le cas, car d'autres chansons
du disque annoncent les changements de mentalité que provoqueront
18 mois plus tard le flower power et le summer of love. Ca commence
par Nowhere Man dans laquelle John s'efforce de se/nous
redonner confiance. Ca continue par The Word qui, malgré
des paroles simplistes et trop candides pour être vraiment
convaincantes, tente de délivrer avec quelques mois d'avance
LE message peace & love de la seconde moitié des sixties :
Dis le mot et tu seras libre
Dis le mot et sois comme moi
Dis le mot auquel je pense
As-tu entendu ? Le mot est AMOUR.
En ce qui concerne la prise de son, Rubber Soul possède
également une longueur d'avance. Ce disque constitue un
bond prodigieux non seulement par rapport aux albums précédents
des Beatles mais aussi par rapport à la majorité
de la production de 1965. Le son y est identique du premier au
dernier morceau. Pour la première fois, un 33 tours sonne
comme un tout cohérent et non pas comme un empilage de
45 tours enregistrés ici ou là et mixés
de façons différentes. Des thèmes récurrents,
un son cohérent : on ne peut pas encore parler de
concept album, mais on n'en est plus très loin.
En conclusion, avec un pied dans la gentille Pop du début
des sixties (Michelle) et un autre dans une musique pas
encore psychédélique mais déjà expérimentale,
Rubber Soul a permis au Beatles de passer de Yesterday
à Tomorrow never knows. C'est pourquoi c'est un
disque important.