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Fiche technique
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Titre |
Love |
Genre |
Drame |
Année |
1970 |
Origine |
Grande-Bretgne |
Réalisateur |
Ken Russell |
Titre original |
Love |
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Distribution
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Rupert Birkin |
Alan Bates |
Gerald rich |
Oliver Reed |
Gudrun Brangwen |
Glenda Jackson |
Ursula Brangwen |
Jennie Linden |
Hermione Raddice |
Eleanor Bron |
Loerke |
Vladek Sheybal |
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Les premières minutes
L'histoire se déroule dans l'Angleterre des années
20, au cur d'une région minière. Gudrun,
sculpteur, et sa sur Ursula, institutrice, sont deux jeunes
femmes modernes qui cherchent à s'élever socialement.
Un jour, elles annoncent à leurs parents qu'elles ne déjeuneront
pas à la maison. En effet, elles veulent absolument assister
à un mariage de notables. Sur le chemin de l'église,
elles parlent de leurs mariages. Gudrun n'est pas forcément
hostile à cette idée, à condition évidemment
de rencontrer un homme possédant de confortables revenus.
Pourquoi j'aime ce film
Si je dressais la liste de mes films préférés,
il est possible que Love n'y figure pas. Et pourtant...
Je peux vous assurer que lorsque je l'ai vu pour la première
fois, au début des années 70, il m'a fait un effet
énorme. Bizarrement, je l'ai ensuite oublié dans
un des recoins de ma mémoire, lui préférant
d'autres films de Ken Russell tels que Tommy. Cependant,
je n'ai pas manqué de l'enregistrer le soir où
il a été diffusé sur Arte, comme si je m'étais
douté qu'un jour il redeviendrait important pour moi.
Et c'est tout récemment, en regardant un des épisodes
de l'intégrale des Champions, cette série
TV de 1968 qui sans être aussi incontournable que Chapeau Melon & Bottes De Cuir
ou Le prisonnier a de
quoi plaire à tous les fans des feuilletons anglais des
sixties, que Love et tout un tas de souvenirs qui s'y
rapportent me sont brusquement revenus.
Je venais juste de regarder The gilded cage (la cage
dorée), un épisode dans lequel Samantha, une superbe
blondinette dont les jambes sont aussi longues que la jupe est
courte, sera tuée si Richard Barrett refuse de déchiffrer
un document crypté. J'étais certain que le minois
de cette Samantha ne m'était pas inconnu. Une fois arrivé
au générique de fin, j'ai appris qu'elle se nommait
Jennie Linden. Un petit tour sur Google® pour récupérer
sa filmographie et... bingo ! Elle jouait le rôle
de Ursula dans Love de Ken Russell. Et c'est à
cet instant précis que le couvercle de la boite à
souvenirs s'est entrouvert, laissant échapper son contenu
que voici :
- Tout d'abord, Love est un film que je
n'aurais jamais dû voir. La raison officielle était
que j'avais école le lendemain et qu'il était diffusé
trop tard. Ben voyons... Je pense plutôt que c'était
un prétexte pour m'empêcher de regarder certaines
scènes jugées trop sulfureuses par mes parents.
Heureusement, j'avais trouvé une parade : en
me cachant derrière le gros poêle à mazout
de la salle à manger je pouvais voir sans être vu...
C'est donc derrière ce gros poêle marron, alors
que j'essayais de ne pas en perdre une miette, que j'ai reçu
une de mes premières grandes baffes cinématographiques.
Je venais de découvrir qu'un film "pour adultes",
c'est à dire un film racontant autre chose que des histoires
de policiers pourchassant des bandits et d'indiens attaquant
des diligences, pouvait être passionnant. Je venais aussi
de découvrir que le cinéma était un art,
qu'un cinéaste pouvait, comme un peintre ou un compositeur,
communiquer des impressions et des sentiments à son public.
C'est peut-être ce soir là que j'ai commencé
à vraiment aimer le cinéma.
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- Dès les premières minutes, Love m'avait
frappé par sa modernité de pensée. Qu'importe
que l'action se déroule dans les années 20, qu'importe
qu'elle se situe en Angleterre, qu'importe que les personnages
principaux appartiennent à la bourgeoisie, ces gens avaient
des idées ressemblant étrangement à celles
de certains copains de bahut plus âgés que moi ou
même à celles de certains de mes profs. Leur destin
était tout tracé : Gudrun et Ursula allaient
s'élever socialement en se mariant, Rupert allait reprendre
la mine que dirigeait son père et Gerald ferait carrière
dans les hautes sphères de l'enseignement britannique.
Cependant, il était évident que cet avenir insipide
ne les satisfaisait pas et qu'ils espéraient autre chose
de la vie. Le couple Rupert / Gudrun, plutôt
classique, était déjà mal parti : Rupert
était trop dominateur et Gudrun refusait de se laisser
dompter. Le couple Gerald / Ursula semblait plus ouvert,
professant des idées libertaires très à
la mode dans les seventies, et avait à priori plus de
chances de durer. Durant deux heures, Ken Russell filmait leur
course après un bonheur inaccessible ainsi que leurs doutes,
toutes ces questions qui les tourmentaient. Faut-il se marier ?
Si oui, faut-il bâtir sa vie de couple sur des convenances
ou bien s'autoriser une liberté mutuelle ? Faut-il
rester soi-même ou bien se fondre dans le même moule
que les autres ? Et surtout, peut-on espérer que
ça durera toute la vie ? Que de questions que tout
le monde se pose un jour ou l'autre !
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- Certaines scènes, probablement les scènes sulfureuses
à cause desquelles le film m'était interdit, étaient
si fortes qu'elles me mettaient mal à l'aise. Ken Russell
ne montrait pourtant pas grand chose, mais il le faisait avec
une telle puissance de suggestion... Que suggérait-il ?
Tout d'abord que, derrière le vernis de la bonne éducation
et des bonnes manières, nous sommes tous identiques, indépendamment
de la classe sociale à laquelle nous appartenons. Le mineur
qui a "des vues" sur Gudrun est une véritable
brute, mais Rupert se comportera exactement de la même
manière avec elle. Alors, existe-t-il vraiment une différence
entre un prolétaire et son patron ? Ensuite, il suggérait
que nous cherchons tous à nous échapper du carcan
de la société qui nous emprisonne en franchissant
de temps en temps la frontière ténue qui sépare
le monde de la normalité de celui de la démence.
Lorsque Gudrun danse devant un troupeau au risque de se faire
piétiner, lorsqu'elle fait une fiesta à tout casser
avec son nouvel ami Loerke, lorsque Rupert poursuit à
cheval un train lancé à toute vapeur au risque
de se faire désarçonner, les pulsions prennent
chez eux le pas sur la raison et ils ont l'air d'aimer ça.
Pour finir, et c'est probablement le message le plus subversif
transmis par Love, Ken Russell suggérait que nous
ne sommes vraiment nous-mêmes que durant ces moments de
délire ; le reste du temps, nous trichons pour
donner le change.
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- Certaines autres scènes, de facture
plus classique, étaient d'une telle beauté que
j'en ai encore le souvenir aujourd'hui. Superbes couleurs, éclairages
léchés : tout contribuait à dépeindre
la douceur d'une époque contrastant terriblement avec
les démons intérieurs des quatre héros.
C'est par exemple le cas de la tragique scène de baignade,
de la scène durant laquelle Rupert passe la nuit chez
Gudrun et de certaines scènes tournées en montagne.
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Je crois que j'ai fait mon mai 68 perso durant la nuit qui a
suivi la diffusion de Love... Le lendemain matin, lorsque
mon réveil a sonné j'avais l'impression que plus
rien n'était pareil et je passai la matinée à
gribouiller sur mon cahier, à des années-lumières
de ce que racontait la prof de maths. Il me fallait du temps
pour assimiler ce que je venais de comprendre. Mais au fond de
moi j'étais heureux, aussi heureux que quelqu'un qui vient
d'entrevoir une petite lumière au bout d'un tunnel qu'il
pensait être sans fin. Vivre, était-ce seulement
mettre en application ce qu'on m'enseignait à l'école
et à la maison : la société, les
diplômes, une carrière, une famille ? Apparemment
non : vivre, c'était aussi ces plaisirs plus
basiques, ces joies presque animales à l'image d'Oliver
Reed se roulant dans des buissons épineux, ou de Glenda
Jackson et Vladek Sheybal en plein délire. Contrairement
à ce qu'on m'avait toujours dit, la raison ne gouvernait
pas tout et j'avais l'impression que ma vie venait d'acquérir
un relief jusqu'à présent insoupçonné.
Je venais de prendre une leçon, non pas une leçon
de maths ou de Français mais une leçon de vie.
Six mois plus tôt ou plus tard, l'effet de ce film aurait
peut-être été moindre. Le hasard a voulu
que je découvre Love au moment où j'étais
le plus réceptif à son contenu, au moment où
je me posais les mêmes questions que ses personnages principaux.
Love avait probablement un rôle initiatique à
jouer. Il l'a joué puis s'est petit à petit dissout
dans les brumes de mon adolescence. Aujourd'hui, je le regarde
encore avec plaisir et ni la beauté de certaines scènes
ni celle de Glenda Jackson ne se sont estompées avec les
années. Mais le génie n'est jamais plus ressorti
de la lampe merveilleuse, et la magie s'arrête donc là... |
Les meilleures scènes
- La scène que je préfère dans Love
est la scène la plus drôle du film. Hermione, femme
snob toujours à la recherche d'une occasion de se mettre
en valeur, improvise un ballet pour ses invités. Se prenant
pour Isadora Duncan, elle se met à danser accompagnée
par Gudrun et Ursula. Rupert et Gerald ont bien du mal à
garder leur sérieux face au ridicule de la situation.
A un moment, Hermione se cache derrière un paravent pour
changer de robe. Mais l'intermède dure longtemps, trop
longtemps, et Gerald en profite pour glisser quelques mots à
l'oreille du pianiste. Celui-ci acquiesce, se lance dans un ragtime
endiablé, et les invités qui n'attendaient que
ça se jettent dans la danse. Lorsque Hermione surgit de
derrière le paravent, et qu'elle comprend ce qui se passe,
elle se vexe et quitte la pièce.
Cette scène résume tout le film. On y retrouve
la société si ennuyeuse et si pleine de convenances
(Hermione), les concessions qu'il faut faire pour être
accepté au sein d'une classe sociale (Gudrun et Ursula
qui acceptent de danser un ballet ridicule pour ne pas déplaire
à Hermione), la possibilité qui s'offre de sortir
du carcan (le ragtime) et les quatre personnages principaux qui
cherchent leur voie, et qui hésitent entre laisser faire
Hermione et continuer à s'ennuyer ou briser les convenances
et rigoler un bon coup.
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- Une autre scène excellente est celle durant laquelle
Gudrun et Loerke, dont le rôle est interprété
par le génial Vladek Sheybal, un habitué des séries
TV anglaises de la grande époque (il fut en particulier
le Major Doug Jackson dans UFO), font une
fête à tout casser. Il s'en dégage une telle
vie, par rapport au reste du film, qu'on aurait presque envie
d'y participer. Pour ceux qui en douteraient, il existe donc
bien des alternatives à la grisaille de la vie quotidienne.
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La nana
Aucune hésitation : dans Love, la
nana est Gudrun dont le rôle est magistralement interprété
par Glenda Jackson. Lorsque Rupert la rejoint dans sa chambre,
elle est à tomber. Quelle leçon pour les jeunes
cinéastes : suggérer une nuit aussi torride
en en montrant si peu... Cette scène est devenue une scène
culte, et je l'ai même retrouvée récemment
sur un fond d'écran (hélas, je n'ai pas noté
l'URL du site en question).
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