Chronologie
Broken English est paru à l'automne 1979. Dans
la discographie de Marianne Faithfull, il se positionne entre
Faithless (1978) et Dangerous Acquaintances (octobre
1981).
Le disque en quelques morceaux
Why d'ya do it
Une rythmique reggae, un orgue qui vibre, et Marianne nous
balance une chanson au vitriol qui parle de jalousie. Why
d'ya do it est une scène de ménage chantée.
C'est l'histoire d'un mec qui vient de se faire remonter les
bretelles par sa nana qui n'apprécie pas qu'il fasse des
galipettes avec une autre. Elle le lui a dit en employant les
mots qu'on prononce dans ces cas-là. Je vous laisse donc
le soin d'en traduire les paroles. Un conseil quand-même : laissez
vos dictionnaires de poches et passez à la taille supérieure,
car ce texte n'est pas vraiment ce qu'on pourrait appeler de
l'anglais littéraire...
Why d'ya do it est un morceau dont on a beaucoup parlé
lors de la sortie de Broken English. Fallait-il se réjouir
de la liberté que prenait Marianne ou bien être
choqué par des paroles aussi crues ? En tout cas,
aujourd'hui Why d'ya do it balance encore méchamment.
Working Class Hero
Marianne Faithfull reprend une chanson de John Lennon parue
initialement en 1970 sur l'album Plastic
Ono Band. Mais nous sommes en 1979, et le sobre accompagnement
de guitare folk qu'avait imaginé John Lennon laisse la
place à un accompagnement synthétique que Pink
Floyd n'aurait pas renié. Ce texte a beau être très
personnel, Marianne réussit le tour de force de se l'approprier
et d'être aussi à l'aise en l'interprétant
que si elle l'avait écrit elle-même. Et la hargne
qui suinte de sa voix éraillée finit de rendre
crédible son interprétation. Un grand moment.
Brain Drain
Marianne sings the blues, et on dirait que sa voix est faite
pour cette musique. Brain Drain, avec ses superbes parties
de guitare, balance doucement. Quelques belles interventions
à l'orgue (Steve Winwood ?) viennent embellir l'ensemble.
Les paroles de cette chanson racontent encore un règlement
de comptes, et pourtant son rythme en fait le morceau le plus
léger de l'album.
Guilt
Marianne se sent coupable, mais elle ne sait pas de quoi. Elle
a beau chercher, elle ne voit rien à se reprocher. Elle
ne vole pas les riches, ne donne pas aux pauvres... ou peut-être
le contraire. Elle ne sait plus, elle n'est qu'une enfant curieuse.
Cette chanson (autobiographique ?) nous décrit
quelqu'un qui est un peu paumé. Peut être est-ce
ainsi, en couchant toutes ses angoisses et ses interrogations
par écrit, qu'elle a réussi à remonter la
pente en 1979.
Pourquoi j'aime ce disque
Broken English fut une sacrée bonne surprise.
En 1979, l'ex-fiancée de Mick Jagger vient de vivre une
descente aux enfers de plusieurs années. La belle demoiselle
en robe longue, qui susurrait les paroles de Something Better
en agitant ses longs cils sur la piste de cirque du Rock
and Roll Circus, a été brisée par la
vie. De galère en galère sa voix s'est éraillée
et la daube country enregistrée l'année précédente
semble bien être le terme de sa carrière. Mais c'est
compter sans Chris Blackwell. Le boss d'Island records pousse
Marianne à écrire de nouvelles chansons. Puis il
la pousse à entrer en studio et à enregistrer cet
album. Et c'est le miracle : qu'ils soient de sa propre
main ou bien écrits par d'autres, ces textes servent de
soupape à Marianne. Colère, haine, frayeurs : dans
Broken English elle balance tout avec simplicité
et honnêteté. C'est son grand retour, le début
d'une nouvelle carrière. La presse spécialisée
s'intéresse de nouveau à elle, même si on
peut se demander s'il s'agit vraiment d'un intérêt
artistique ou bien plutôt de curiosité malsaine.
En effet, à l'époque certains journalistes semblent
s'intéresser plus à son look de Keith Richards
féminin et à ses ongles complètement rongés
qu'à ce qu'elle a à dire. En tout cas, Broken
English se vend bien. Le grand public apprécie The
ballad of Lucy Jordan tandis que les vrais fans, ceux qui
se souviennent de son glorieux passé, préfèrent
se coller Why d'ya do it dans les oreilles.
Musicalement parlant, Broken English est un album au
contenu éclectique et bien ancré dans son époque.
Servi par d'excellents musiciens (dont Steve Winwwod aux claviers),
il a un pied dans les années 70 (les guitares, l'orgue
et la batterie), et un pied dans les années 80 (les synthétiseurs
et la boite à rythmes).
Souvenirs, souvenirs...
Pour moi, Broken English aura toujours le parfum de
la liberté.
Par une triste journée de l'hiver 1979-1980, je suis
ressorti d'un centre de sélection militaire dans lequel
j'étais convoqué pour les 3 jours. Au programme
un chouette film fantastique regardé la veille au soir
au foyer, une bataille de polochons mémorable durant la
nuit, un papier portant le tampon "exempté", à l'encre rouge,
dans ma poche et quelques grosses pièces de dix francs : le
pécule remis à mon arrivée. Le temps de
passer au pas de course devant la sentinelle dans sa guérite
(on ne sait jamais : ils auraient pu changer d'avis
au dernier moment...), et je me suis précipité
chez mon disquaire préféré pour acheter
Rumours de Fleetwood Mac et Broken English. C'est
pourquoi je ne suis peut-être pas tout à fait objectif
lorsqu'il s'agit de ce disque. Ceci dit, je pense qu'il s'agit
du meilleur album de Marianne Faithfull. Et puis, dans cette
pochette toute bleue sur laquelle pointe le bout incandescent
de sa cigarette, elle est vraiment magnifique. |