Chronologie
L'histoire de Melody Nelson est parue le 24 mars 1971.
Dans la discographie de Serge Gainsbourg, elle se positionne
entre Jane Birkin - Serge Gainsbourg (juin 1969)
et Vu de l'extérieur
(16 novembre 1973).
Le disque en détail
Melody
Une Rolls Silver Ghost 1910 traverse une ville anonyme. Au
volant, un homme perdu dans ses pensées écoute
la radio d'une oreille distraite tout en admirant le Spirit of
Ecstasy qui orne le radiateur. Mais il est brusquement tiré
de sa rêverie par un choc violent : il vient de heurter
une jeune fille qui circulait à bicyclette. Elle est rousse
et s'appelle Melody Nelson.
Sur ce premier morceau, la tension monte crescendo. Durant
les premières minutes, le groupe de rock occupe progressivement
tout l'espace sonore jusqu'au moment où arrive Melody,
annoncée par les violons. Le ton de l'album est alors
donné : d'une part, nous aurons de la Pop anglaise
dans sa version la plus basique (guitare, basse, batterie) et
de l'autre un orchestre symphonique composé d'une cinquantaine
de musiciens. Le jeu va consister à les faire jouer ensemble...
Ballade de Melody Nelson
Au premier regard sur Melody, c'est le coup de foudre. Le
conducteur de la Rolls, devenu pour la circonstance narrateur,
commence à nous raconter sa triste histoire et on réalise
alors qu'il s'exprime au passé. La belle histoire, qui
vient à peine de commencer, serait-elle déjà
terminée ?
Ballade de Melody Nelson est la face A du single tiré
de l'album (avec Valse de Melody en face B). C'est pourquoi
ce titre est un des plus connus du grand Serge.
Valse de Melody
Au bras de Melody, la vie du héros devient un véritable
tourbillon. Il ne sait plus où il en est et se laisse
entraîner dans une valse vertigineuse à la limite
du psychédélisme.
Les violons font perdre l'équilibre, les paroles tournoient
dans l'air : en écoutant la Valse de Melody,
on attraperait facilement le tournis.
Ah ! Melody
Des arpèges de guitare acoustique accompagnent ce nouveau
flash-back, souvenir du bon temps passé avec Melody, de
toutes les conneries qu'il a faites pour elle.
A la guitare et aux violons vient s'ajouter le coup
de patte british qui fait toute la différence : un
solo de cor anglais comme dans l'ouverture de Tommy des
Who ou For no one des Beatles. La classe, quoi !
L'hôtel particulier
L'homme emmène Melody dans un hôtel particulier
où, sous l'il complice des miroirs qui ornent le
plafond de la chambre 44... Mais nous n'allons quand-même
pas les déranger.
L'hôtel particulier est un des grands moments
du disque. Dans la seconde moitié du morceau, guitare,
basse, batterie, piano, orgue et instruments à cordes
jouent comme s'ils étaient entre les mains d'un seul et
unique musicien. L'impression d'ensemble qui en ressort est étonnante.
En Melody
Cet instrumental est une bouffée d'air en provenance
directe des seventies. Rien que du bonheur ! On ne sait
pas trop ce que fait Melody, mais elle a l'air de bien s'amuser...
Au fait, les rires de Jane ont été enregistrés
alors que son frère était en train de la chatouiller.
Cargo culte
Epilogue : Melody trouve la mort dans un accident d'avion.
Elle repose quelque-part au fond de l'océan, l'histoire
se termine aussi brutalement qu'elle avait commencé et
l'homme reste seul à ressasser ses souvenirs.
Au micro, Gainsbourg devient son personnage. Il psalmodie
son texte comme s'il s'agissait d'une incantation et laisse libre
cours à sa douleur. Ses mots sont sublimes :
N'ayant plus rien à perdre ni dieu en qui croire
Afin qu'il me rende mes amours dérisoires
Moi, comme eux, j'ai prié les cargos de la nuit.
L'histoire de Melody Nelson se termine alors en apothéose,
sur des churs qui semblent vouloir monter jusqu'aux cieux.
En les écoutant, on pense aux dernières mesures
de You can't always get what you want des Stones.
Pourquoi j'aime ce disque
En 1971, personne ne peut plus ignorer Serge Gainsbourg. Je
t'aime... Moi non plus, titre sulfureux extrait de son précédent
album, enregistré en duo avec Jane, a fait couler beaucoup
d'encre dans la presse et a même été retiré
de la vente en Italie. Pour l'album suivant, il imagine une histoire
d'amour plus belle et plus tragique que celles de la vraie vie,
une histoire digne des auteurs romantiques du 19ème siècle.
Bien sûr, on comprend vite que Melody est Jane et que
le conducteur de la Rolls n'est autre que Serge, mais ce ne sont
pas « nos » Serge et Jane. Ces deux-là
vivent de l'autre côté du miroir, dans un monde
où n'existe ni interdit, ni tabou, ni même permis
de conduire (en 1971, Serge possédait effectivement une
Rolls mais, faute de posséder le petit carton rose, n'avait
pas le droit de la conduire). Le destin se chargera d'orchestrer
la rencontre et la séparation de ces deux êtres.
Ils feront connaissance par accident, le jour où l'homme
renversera Melody, et seront séparés peu après
par un sordide accident d'avion. Entre ces deux accidents, ils
vivront durant un bref moment une vie encore plus exaltante que
celle de leurs doubles réels, vie racontée ici
en 7 titres et un peu moins de 30 minutes.
L'histoire de Melody Nelson reste un disque auréolé
de mystère : aujourd'hui on n'est même plus
certain de l'identité des musiciens du groupe de rock.
Mais c'est aussi un des sommets de la musique des seventies,
l'alchimie parfaite de la Pop anglaise et de la musique classique,
à des lieux des arrangements pompiers du rock symphonique.
C'est aussi la réponse de Gainsbourg aux monuments que
sont Sgt. Pepper's Lonely Hearts
Club Band des Beatles, Pet
Sounds des Beach Boys ou Tommy des Who, un peu
comme s'il lançait à toutes ces jeunes rock-star,
sur un ton narquois :
- Et ça, les p'tits gars, vous savez le faire ?
En s'attaquant à cette oeuvre, Gainsbourg voulait cartonner.
Il est donc parti enregistrer à Londres, au centre du
monde musical de l'époque, un disque de professionnel,
un disque aux mélodies inoubliables, aux textes qu'on
peut lire comme autant de poèmes et aux arrangements impeccables
(Jean-Claude Vannier). L'approche y est des plus classiques :
on retrouve par exemple l'association personnage / instrument.
Le groupe de rock est le conducteur de la Rolls et les violons
sont Melody. On se croirait dans une grande oeuvre classique,
ce qui n'empêche pas le groupe de rock de déménager
parfois méchamment.
En conclusion, même si mon album préféré
de Gainsbourg reste le sympathique Vu
de l'extérieur, je considère L'histoire
de Melody Nelson comme son plus grand disque, celui qui ne
prendra jamais une ride. Et vous tomberez raide-mort en écoutant
la version remastérisée en 24 bits, à partir
des masters originaux, de L'histoire de Melody Nelson.
Pour la petite histoire...
Il parait que le 7 mars 1991, au cimetière Montparnasse,
le grand Serge n'est pas parti seul pour son dernier voyage.
Un petit singe en peluche l'a accompagné : celui
que Jane serre contre sa poitrine sur la pochette du disque.
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